Crises, conflits, drames : la situation du Maghreb aujourd'hui n'échappe pas à la règle du monde en feu. Et ça se traduit chaque fois en fiction, qui toujours dépasse la réalité, et vice-versa. C'est ainsi qu'à la Mostra de Venise deux films maghrébins sont montrés. Un très remarquable film algérien de Tariq Téguia, jeune homme moderne, pressé d'en découdre, fils du grand professeur et historien Téguia, intitulé Rome plutôt que vous. Et un film marocain sans argument, sans style, où le cinéma est absent totalement fait par un certain Fawzi Bensaïdi : What a wonderful word (son titre), présenté contrairement au film algérien (qui est dans la section officielle) dans une sous-section parallèle qui ramasse tout ce que le festival ne veut pas. Bref, l'histoire de Tariq Téguia se déroule pendant la « décennie noire » que notre pays a hélas connue. Zina et Kamel, deux jeunes Algérois de Aïn Benian s'apprêtent à émigrer ailleurs. La violence sévit partout. Alger vit des jours frénétiquement douloureux. La situation paraît inexorable. Sauvée seulement par les poèmes de Bachir Hadj Ali. Ou par un singulier personnage (joué par Ahmed Ben Aïssa) qui cite D. H. Lawrence, parle de Eldwige Cliver et du combat des « Blacks Panthers » américains. Zina et Kamel vont-ils mourir ou partir ? Chaque heure qui passe aggrave leur situation. Sur ce thème, Tariq Téguia s'est risqué avec brio dans une œuvre de bout en bout attachante. Il y a chez lui sûrement des répercussions de tous les classiques qu'il a vus à la Cinémathèque d'Alger. Et sûrement les films de Michelangelo Antonioni. D'un long plan à l'autre, il laisse passer le temps. Sur les terrasses, diffuse la superbe lumière d'Alger. Une partition d'Archie Shepp nous rend nostalgique de ce que fut cette ville avant d'être rattrapé par le visage hideux du terrorisme islamiste. Il y a dans Roma un écho profond des années noires. La mise en scène très travaillée de Tariq Téguia a tenu ses promesses. Son film a été très bien accueilli à la Mostra de Venise. Il ira dans beaucoup de festival, après l'avant-première d'Alger. Alors que les éloges des spectateurs auraient généralement mis le film de Tariq Téguia après sa première (mondiale) au Lido, les mêmes spectateurs s'abstenaient de commenter le film marocain de Fawzi Bensaïdi. La salle s'était quasiment vidée à la projection dimanche à la Sala Perla. Il faut avouer que c'est assez infect ce portrait qui suggère que Casablanca est peuplée de tueurs, de voyous, de flics femmes qui se prostituent, etc. On aurait bien voulu le croire s'il y avait un minimum de mise en scène crédible. C'est du bout en bout sans logique, sans récit. C'est du cinéma sans récit, vide. Dommage pour le cinéma marocain d'être si mal représenté à Venise (mais la section « Nouveaux auteurs » prend n'importe quoi). On attend à présent les films italiens sélectionnés à la Mostra : La Stella (de Gianni Amélio), Nuvomonde (de E. Crialeso) et le dernier opus du duo Huillet-Straub : La Rencontre. A la Mostra ces jours-ci, il n'est question que du réveil du cinéma italien qui a connu un passage à vide.