L'opposition à la charte pour la paix et la réconciliation nationale n'est pas dans « les hautes sphères ». C'est ce qu'a déclaré, hier à El Tarf, Ahmed Ouyahia, chef du gouvernement et secrétaire général du RND, lors d'un meeting. Il a voulu, peut-être, clarifier ce qui se raconte ici et là sur cette supposée « opposition » à la démarche présidentielle au sein même des appareils du Pouvoir. Le président de la République a évoqué, depuis le lancement non officiel de la campagne pour le référendum du 29 septembre, des résistances à son projet. Il a parlé de « parties » au sein du Pouvoir. Il a accusé « des usurpateurs du pouvoir ». Sans définir la nature, l'identité, l'importance, le grade et la taille de ces « opposants ». Bouteflika a, parallèlement, mis à l'index des « trabendistes », des « narcotrafiquants », des « opportunistes » et des « commerçants ». Les contours du conglomérat de ces « adversaires » au projet présidentiel demeurent flous. Mais voilà qu'Ahmed Ouyahia cible ces opposants. Ils ne sont pas en « haut », mais en bas. Qui sont-ils ? « Des présidents d'APC, des directeurs, des douaniers, des fonctionnaires », a-t-il dit (lire article de Slim Sadki en page 3). Le chef du gouvernement n'a pas indiqué les raisons de ce rejet imputable, pour la première fois, à des fonctionnaires de l'Etat. Quel est l'intérêt des douaniers à s'opposer à une charte défendue par le président de la République ? Que cherchent les présidents d'APC, dont la plupart sont militants de partis comme le FLN, le RND et le MSP, engagés entièrement dans la campagne positive pour le référendum, à s'opposer à une démarche politique ? Quelles sont les visées de directeurs d'entreprise ou d'administration derrière la résistance à un projet mis déjà sur un rouleau compresseur ? S'il ne l'a pas dit, Ouyahia a réussi à installer le doute et la crainte au sein des structures de base de l'Etat. De deux choses l'une : ou on prépare déjà une purge qui ressemblera à une chasse aux sorcières et qui fera plus de victimes que la célèbre et sinistre opération dite de « moralisation de vie publique » menée par le même Ouyahia en 1996 ou l'on cherche à complexer des agents de l'Etat, qui ne sont pas forcément au service du pouvoir en place, à s'aligner derrière la nouvelle pensée unique et applaudir « le consensus » sur la réconciliation. Par là même, Ouyahia, acharné détracteur des offres de paix faites par l'opposition en 1995 et en 1996, confirme - et c'est en sa défaveur - que les agents de l'Etat et les fonctionnaires, astreints, il est vrai, à l'obligation de réserve, n'ont pas le droit d'avoir une idée politique différente. Le délit d'opinion est officialisé. Ouyahia, qui s'attaque à ceux ayant « des rapports philosophiques avec la politique », cherche, dans la foulée, comme s'il est chargé de le faire, de rassurer quant à « la cohésion » au sein de la sphère de décision. Aussi, s'est-il permis de s'adresser aux Algériens : « Le peuple doit savoir que l'armée n'a pas l'intention de cesser de poursuivre les criminels. » Cette question est transparente dans le discours du président de la République, ministre de la Défense. A ce jour, l'armée et les généraux les plus en vue n'ont pas dit ce qu'ils pensent de la charte pour la paix et la réconciliation nationale. N'ont pas expliqué également quelle sera l'attitude des unités opérationnelles après le référendum du 29 septembre. A moins que l'on soit sûr, mais alors là sûr, qu'à partir du 30 septembre 2005, le pays s'installera dans le niveau zéro de la violence et que les maquis n'auront plus de visiteurs. Sauf que le président de la République, lors d'un discours à Blida, a dit ceci : « Ce qui est aujourd'hui à notre portée ne l'était guère par le passé. Les lendemains pourraient être annonciateurs d'autres mesures que nous ne sommes pas aujourd'hui en mesure de réaliser. Chaque chose en son temps. » Le domaine de définition est donc ouvert pour cette équation à variantes inconnues. Chose certaine toutefois : la charte pour la paix et la réconciliation est illimitée dans le temps.