Dans la région de Kabylie, à moins de trois semaines du référendum pour la paix et la réconciliation et à dix semaines des élections partielles, la tendance de l'opinion locale semble épouser les mêmes contours politiques. Pour l'écrasante majorité de la population, « les résultats du référendum sont connus d'avance », le bourrage des urnes étant une vieille pratique. Aussi, en Kabylie où le RCD et le FFS sont le plus implantés, ont-ils décidé d'un « boycott massif » pour le parti de Saïd Sadi et un « boycott actif » pour la formation d'Aït Ahmed. Par contre, les deux partis participeront ensemble à des élections locales pour la deuxième fois (après 1997) depuis l'avènement du pluralisme politique. Mais ce scrutin particulier du 24 novembre se présente dans un contexte social et politique tout aussi particulier. La région connaît un profond malaise politique. Les débats d'idées ont disparu, laissant le champ libre à l'invective. Dès lors, la rue, ou ce que l'on appelle la majorité silencieuse, perd au fil des événements ses repères politiques. Les grands idéaux démocratiques et les projets de société, dont des partis étaient porteurs pendant les dernières décennies, ont aujourd'hui globalement déserté les esprits. En Kabylie, il y a plus de dix forces politiques agissantes ; deux tendances des archs, deux ailes du MCB, le RCD, le FFS, le RND, le FLN, le MAK de Ferhat M'henni, l'UDR de Amara Benyounès, le MDC de Saïd Khellil et les zaouïas. A Béjaïa tout comme à Tizi Ouzou, les voix des électeurs seront sollicitées par ces nombreuses organisations, certaines d'entre elles du moins. Elles sont 552 498 à Tizi Ouzou et 419 000 à Béjaïa. Près d'un million de voix qui sont difficiles à mobiliser tant la population est lasse des déchirements et des sacrifices non capitalisés. Au sein des états-majors politiques, on craint un vote sanction.Un cadre du RCD affirme : « Ni notre parti ni le FFS ne constituent une alternative à lui seul. La véritable alternative, c'est la conjugaison des efforts de ces deux partis. Car, le pouvoir politique central et ses relais politiques locaux disposent de moyens médiatiques et financiers importants. » Les déséquilibres sont pesants. Aussi, le RCD a-t-il suggéré à son « frère ennemi », le FFS, de constituer des listes communes pour les élections locales. La réponse à cette offre est venue du porte-parole du parti d'Aït Ahmed, Karim Tabbou, qui a déclaré : « Il n'y a aucune forme d'alliance politique. Nous sommes un parti sérieux. Qu'on ne vienne pas nous demander des listes communes après avoir soutenu la violence et les archs. (...) Ceux qui veulent se racheter se trompent de société. » Les critiques dirigées contre Saïd Sadi sont acerbes, et pour le citoyen électeur, c'est une autre occasion pour déchanter. Un militant du FFS, rencontré à la DRAG de Tizi Ouzou en train de retirer des formulaires de candidature de listes indépendantes à Yakouren, déclare : « J'ai quitté le parti et nous sommes nombreux à le faire, car des idéaux du FFS sont dévoyés. La structure est dirigée par un staff qui est en fait une maffia avec un appétit vorace ». Le siège de la plus importante fédération du FFS, celle de Tizi Ouzou, est souvent fermé, les structures communales sommeillent depuis des années. « Nous avons échoué sur plusieurs plans. Au lieu de faire le constat d'échec et digérer nos divergences, on prête le flanc au pouvoir en alimentant nos dissensions », dit le dissident du FFS. Si pour le référendum les choses sont plus au moins claires, en revanche pour les locales, les résultats de la course aux voix s'annonce incertains. En somme, un puzzle électoral difficile à mettre en place.