Une année après l'élection présidentielle de 2004, qui avait vu l'intronisation de Hamid Karzai, le protégé des Américains, suivie de l'adoption de la nouvelle constitution du pays, les Afghans sont appelés de nouveau aux urnes aujourd'hui pour élire pour la première fois depuis 1969 le Parlement (la Wolesi Jirga), composé de 249 sièges ainsi que 34 conseils provinciaux pour 420 sièges à pourvoir lesquels seront chargés à leur tour dans une prochaine étape d'élire une partie du Sénat (la Leshrano Jirga). Quelque 5800 candidats issus de tous les horizons sont en lice pour ces élections législatives qui se déroulent dans un climat politique et sécuritaire marqué par la persistance de la violence dans ce pays où la normalisation promise par les Américains après la chute du régime des talibans tarde à se concrétiser. Il ne se passe pas un jour sans que de nouvelles victimes ne viennent tomber sous les balles des talibans qui ont clairement affiché leur détermination à perturber ce scrutin en tuant déjà 6 candidats tout comme ils se sont jurés de faire payer aux magistrats, hauts fonctionnaires, imams, policiers, militaires leur collaboration avec le régime. La liste des assassinats ciblant des personnalités civiles, des dignitaires religieux et des officiers de hauts rangs s'allonge de jour en jour. La présence à ces élections de commandants locaux et de seigneurs de la guerre qui cherchent à se recycler dans la politique inquiète les organisations internationales qui sont placées devant un cruel dilemme : se plier à la dictature des chefs militaires et des chefs de tribu qui continuent malgré la mise en place d'un pouvoir civil élu pour la première fois au suffrage universel de régenter le pays profond en acceptant de les intégrer dans le système politique quitte à faire une entorse aux règles du jeu démocratique ou bien alors les exclure de la vie politique avec toutes les conséquences qui pourront en découler sur la stabilité du pays déjà bien précaire. C'est la seconde option qui semble avoir été retenue, tout en demeurant vigilant autant que faire se peut sur l'examen des candidatures et leur validation par la commission électorale qui a rejeté pas moins de 45 candidatures considérées comme ayant des liens avec les groupes armés. Selon une étude interne de l'Onu, non publiée, près de 16% des candidats au Parlement, soit 900 personnes, seraient liés à des groupes armés. Dans un communiqué publié jeudi, l'Organisation de défense des droits de l'homme, Human Rights Watch, a ainsi dénoncé « un climat rampant de peur chez les électeurs et les candidats, notamment dans les régions isolées ». C'est dire tout l'enjeu de ces élections, dont l'objectif n'est autre que de redistribuer le pouvoir entre les différentes tribus et autres forces agissantes - les factions armées entre autres - qui se sont toujours disputées le pouvoir central et local par le truchement des armes, mais pas de jeter dans le pays des jalons solides de la démocratisation du pays. Les élections de dimanche en Afghanistan ne déboucheront pas sur un « débat politique durable » ni sur une « vie politique saine », a estimé Emma Bonino, chef de la mission d'observation de l'Union européenne, dans un entretien publié jeudi par le Financial Times. « Je pense simplement que le scrutin ne débouchera pas sur un débat politique durable ni sur une vie politique saine », a déclaré Mme Bonino qui déplore que les 60 inspecteurs devant superviser le scrutin n'ont pu accéder à toutes les provinces du pays en raison des violences. La conférence internationale sur l'Afghanistan, prévue en janvier prochain à Londres et dont l'ordre du jour portera précisément sur les perspectives du retrait progressif des organisations engagées dans le processus de reconstruction du pays après le renversement du régime des talibans, permettra de faire le bilan des réalisations enregistrées par le pays depuis l'installation du nouveau pouvoir au plan politique, institutionnel et autres, mais surtout de mesurer le poids des pesanteurs sociologiques, tribales, religieuses qui continuent de peser lourdement sur le processus démocratique dans lequel était censé être engagé le pays en mettant fin au régime obscurantiste et théocratique des talibans.