A mesure que l'échéance du référendum sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale se rapproche, on en apprend chaque jour sur les desseins et les visions des acteurs politiques à travers les phrases sibyllines et les expressions « assassines » des hommes politiques regroupés au sein de la coalition présidentielle. Car au-delà de la guerre des chefs du moment, vue par une presse qui s'arrête volontiers sur les « sorties » médiatisées à souhait d'Ouyahia, Belkhadem, Madani Mezrag et consorts, c'est en fait la nature du pouvoir politique, le projet de société pour les dix ou vingt ans à venir qui sont en train de se jouer. Car si Belkhadem veut aller plus loin que la réconciliation nationale en parlant volontiers d'amnistie générale, de révision constitutionnelle autour du mandat présidentiel qui est pour l'instant limité à cinq années et « renouvelable » une seule fois, c'est sans aucun doute parce qu'il considère ces deux aspects stratégiques pour la mise en place d'un pouvoir qui « dure », en d'autres termes la mise en place d'un régime dont beaucoup craignent, et à juste titre, des velléités qui se rapprocheraient davantage d'une dictature que d'une démocratie pluraliste reposant sur l'alternance au pouvoir d'autant qu'aucune ouverture dans ce sens ne semble envisagée que ce soit du champ médiatique ou même de l'activité politique ou syndicale, aussi bien du côté de la Présidence de la République, de la coalition présidentielle ou encore de l'Assemblée nationale... Bien au contraire, il suffit de se rendre compte de quelle manière est réprimée toute manifestation - fût-elle pacifique et s'en tenant au simple débat politique - opposée à la démarche recherchée par le projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale pour avoir une idée plus ou moins précise sur cette recomposition de la scène politique nationale voulue par les promoteurs de ce projet qui veut opposer partisans de la paix, à laquelle on a voulu donner un sens et un contenu précis, au reste des Algériens. A croire qu'il pourrait y avoir des citoyens qui soient opposés par principe à la paix ! Mais le plus déroutant, ou pour le moins inquiétant, c'est la surenchère dans laquelle s'est engagé l'actuel responsable du Front de libération nationale qui s'exprime comme un chef d'Etat et qui va plus loin que Abdelaziz Bouteflika lui-même allant jusqu'à contredire le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia chargé pourtant d'appliquer le programme présidentiel. Quand ce dernier dit que la réconciliation nationale est limitée dans le temps et qu'elle n'est que la quatrième et ultime chance pour les terroristes et les repentis de revenir sur le droit chemin, Belkhadem affirme sur un ton péremptoire qu'elle sera suivie d'une amnistie générale au grand dam du chef de l'Exécutif qui semble en écarter le moindre soupçon ! Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour deviner ce que recherche aujourd'hui celui qui, en 1991, n'avait pas hésité à « négocier » avec les représentants du régime iranien - considéré à l'époque comme un Etat pivot de l'intégrisme international - à Alger une solution politique à la crise interne créée par le FIS contre les intérêts de l'Etat républicain. La suite allait confirmer que c'était la porte ouverte à toutes les ingérences étrangères au cours de décennie du terrorisme. Encore une fois, l'actuel patron du FLN, en proposant l'amnistie générale, vole sans aucun doute au secours des islamistes qui se sont « compromis » en prenant les armes contre les Algériens, non seulement les membres de l'AIS, mais aussi ceux des autres groupes terroristes GIA, GSPC, etc. mais aussi les politiques de l'ex-FIS dont Anouar Heddam avec lequel il a confirmé à la radio nationale être en contact pour l'amener à adhérer à cette « mouçalaha ». Ce qui est valable aujourd'hui pour celui qui n'a pas hésité à revendiquer, à partir de son exil américain, l'attentat du boulevard Amirouche de 1995 et les assassinats d'intellectuels algériens au nom du FIS, ne serait-il pas valable pour Rabah Kébir et tous les autres à l'exception de Abassi Madani qui, de Kuala Lumpur, a signifié une fin de non-recevoir au projet de Bouteflika. Et pour cause. Pourquoi donc tant d'énergie déployée par Abdelaziz Belkhadem dans ce qui se veut davantage une opération de recyclage des militants et de cadres de l'ex-FIS dans le cadre d'un nouvel échiquier politique qui s'élargirait volontiers du côté des islamistes en y intégrant les plus radicaux, ceux qui ont contesté le système politique algérien ? Une volonté, assurément, d'asseoir davantage le régime politique actuel ou à venir sur une base encore plus islamo-conservatrice qu'elle ne l'est actuellement. Et c'est parce qu'ils sentent le sol se dérober sous leurs pieds que des individus comme Abassi Madani fassent preuve d'un « niet » catégorique et surtout parce qu'ils ne peuvent se résoudre à jouer les seconds rôles. A y voir de plus près, l'assurance de l'actuel responsable du FLN sur ce que sera l'après-29 septembre pourrait s'expliquer par cette volonté de mettre au service de Bouteflika tout l'appareil politique de l'ex-parti unique déjà majoritaire au sein du Parlement dans la perspective de l'échéance présidentielle de 2009 pour un troisième mandat. A moins que Belkhadem n'ait d'autres ambitions bien au-delà... Ouyahia, quant à lui, handicapé par un parti créé artificiellement, sans base ni relais dans la société, semble pour sa part attendre son heure et surtout les véritables intentions de Bouteflika à moyen terme et ceux qui le soutiennent. Mais pour l'heure, une chose est sûre : c'est autour de cet enjeu de pouvoir que vont se cristalliser les luttes de clans pour les prochaines années.