Le gouvernement persiste et signe. Le projet de loi de finances pour 2006, et même celui pour 2007, calculeront les recettes budgétaires prévisionnelles sur la base d'un baril de pétrole à... 19 dollars. Ahmed Ouyahia était fier de l'annoncer lors de son très confortable « talk show » à la télévision nationale jeudi dernier. « Je vais vous dire pourquoi... », a-t-il soufflé sur le ton de celui qui est assis sur un arsenal d'arguments : silence, suspense. « Parce que je gouverne aujourd'hui avec un baril supérieur à 60 dollars, mais j'ai aussi gouverné avec le baril à 9 dollars en 1998... » Conclusion : on ne sait pas de quoi sont faits les lendemains. Voilà sur quoi repose la prévision économique du gouvernement algérien. Sur l'instinct naturellement prudent du paysan qui n'est jamais sûr d'une bonne saison de pluie. L'argument sent le ronce depuis déjà la dernière loi de finances. Désormais, c'est de sa bonne foi qu'il est question. Le chef du gouvernement algérien parle du fonds d'une bouteille où il n'est question ni des tendances lourdes du marché pétrolier, ni des prévisions de croissance de la demande énergétique mondiale, ni de la difficulté des nouveaux gisements à y faire face. Partout dans le monde, les spécialistes évoquent une entrée très probable dans une période irréversible de pétrole plus cher, Ahmed Ouyahia s'est arrêté à une citation de Nicolas Sarkis vieille de plusieurs années sur la volatilité grandissante du prix du pétrole dominé par le commerce du spot. Une manière peu habile de suggérer que cela peut aller très vite dans les deux sens, à la hausse comme à la baisse. Le mensonge par omission est de cacher aux Algériens que le pétrole peut effectivement perdre 10 dollars de sa valeur en une semaine. Mais dans un nouveau contexte énergétique, désormais consolidé, où ce sera pour passer de 65 à 55 dollars le baril. Et sans doute pour les reprendre le mois suivant. Alors pourquoi continuer de faire semblant que la prudence requiert de rester à un prix de référence prévisionnel de 19 dollars le baril ? La réponse se précise depuis trois ans. Pour disposer du maximum de fonds hors de portée des délibérations des parlementaires. Le chef du gouvernement l'a avoué, porté par son élan explicatif : dans les faits, il a dessiné la dernière loi de finances avec pour point d'équilibre entre les recettes et les dépenses un baril à 35 dollars. C'est une situation burlesque qui veut que le gouvernement choisisse un prix de référence ridiculement bas qu'il combine avec un déficit budgétaire prévisionnel astronomiquement haut et qu'il comble ensuite durant l'exercice en puisant, à sa guise, dans le fonds de régulation des recettes budgétaires, cette caisse noire de la République qui a permis, entre autres, au Président Bouteflika d'acheter un second mandat présidentiel en distribuant des subventions aux wilayas dès l'été-automne 2003. Lorsque l'ancien ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, a introduit cette réforme en 2001 en créant le fonds de régulation des recettes budgétaires, l'idée était de mettre de côté de 3 à 5 dollars par exercice pendant les années des vaches grasses en prévision des années des vaches maigres. Le fonds de régulation engrange depuis trois ans des sommes équivalentes et depuis cette année supérieures au budget de l'Etat. La République dispose in fine d'une double billetterie. La recette légale passe devant les élus du peuple qui débattent de son affectation. Elle va devenir plus petite que la caisse noire, qui elle est gérée par la Présidence de la République et le ministre de l'Intérieur pour « l'intérêt supérieur du pays ». C'est un scandale sans précédent.