Les relations entre la France et ses anciennes colonies au sud du Sahara ont toujours brillé par leur imperméabilité. Pour Stephen Smith et Antoine Glaser, la France a définitivement perdu l'Afrique. Ils expliquent comment la « Françafrique » a cessé d'exister. Pour le journaliste de Libération puis du Monde et grand spécialiste du continent noir, Stephen Smith, et le directeur de « La lettre du continent », Antoine Glaser, la France en Afrique relève du passé. Ils donnent même l'acte de décès de la « Françafrique », juste après la mort de l'ancien président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny. Le lieu : Yamoussokrou, le village devenu capitale de l'ancien gendarme de l'Afrique de l'Ouest. « La crise en Côte d'Ivoire est à la présence française ce que la prise de la Bastille fut à l'ancien régime : le symbole de la fin. Insensiblement d'abord, puis à un rythme qui est allé en s'accélérant pour culminer en cette funeste nuit de novembre 2004, quand l'armée française ouvrit le feu sur une foule de patriotes à Abidjan, la France a perdu “son” Afrique, celle où (...) elle aimait à penser qu'elle était aimée. A présent, la France rapatrie ses ressortissants sous les huées, sinon les balles. » Le diagnostic est sans appel. La politique africaine de la France a vécu. Les deux auteurs n'ont brillé pour leur optimisme concernant l'Afrique. Plutôt le contraire. Stephen Smith a la réputation solide « d'afro-pessimiste ». Son livre précédent, « Négrologie, pourquoi l'Afrique meurt », est un réquisitoire contre une certaine Afrique. Cette fois-ci, il l'enterre. Avec Antoine Glaser. Donc comment la France a-t-elle perdu l'Afrique ? Dans ce livre, on rentre par la grande porte dans le monde de la barbouzerie. Paris a su recycler les anciens de l'OAS, tisser des réseaux, nouer des liens douteux avec tous les dirigeants africains. Paris a su s'accommoder des dictatures quand elles servent ses intérêts comme au Zaïre ou au Togo, se défaire des tyrans encombrants comme en Centrafrique. On n'y apprend pas grand-chose de nouveau, à moins de tenir un fichier sur tous les barbouzes qui ont servi ou continuent de servir en Afrique. On est même écœuré par tant de détails. L'Afrique de Gaulle ressemble à celle de Giscard qui est une photocopie de celle de François Mitterrand, elle-même sosie de celle de Jacques Chirac. Ce n'est pas pour rien que les Africains, intellectuels et hommes politiques non corrompus par le pouvoir, ne cessent de demander une césure radicale. Pour ces derniers, la France est toujours présente en Afrique. Rien ne se fait ou se défait sans l'aval de Paris. L'exemple de la succession de Gnassingbé Eyadéma par son fils a montré que l'Afrique n'est pas encore près de refuser quoi que ce soit à l'ancienne puissance coloniale. Il est vrai que la fin de la guerre froide a vu l'Afrique sombrer encore plus dans la misère, devenue désormais encombrante pour ses protecteurs. C'était sa chance et son malheur. Le pré-carré de la France n'a jamais été aussi instable, près du chaos. Les auteurs semblent penser qu'on assiste aux derniers soubresauts de la politique néo-coloniale de la métropole. L'agonie est alors très lente, indécente de bonne santé. Les réseaux de Foccart et de ses successeurs sont toujours aussi actifs, les chefs d'Etat toujours aussi mal élus quand ils passent par les urnes. Le pillage continue. Le divorce est peut-être prononcé mais le ménage perdure. Encore et encore.