La rue de Tizi Ouzou a dû pousser un ouf de soulagement, hier, en début d'après-midi. Les escarmouches qui ont éclaté au stade pendant le discours du chef de l'Etat n'ont pas connu un prolongement à l'extérieur. Personne, en fait, ne pouvait prévoir cette réaction hostile au Président Bouteflika d'une partie du public, alors qu'en début de matinée, une foule éparse attendait patiemment l'arrivée du chef de l'Etat. Les policiers étaient courtois et les haies métalliques qu'ils ont installées le long de l'itinéraire présidentiel donnaient l'impression d'un ordre impeccable. Les bus et les fourgons immatriculés à Boumèrdès, Bouira et Alger arrivaient dans un tintamarre de klaxons. Certaines personnes, sans se gêner, leur faisaient des bras d'honneur. L'UGTA a confectionné des banderoles qu'elle a installées devant les façades de la mairie, de la BNA, d'Air Algérie (qui a fermé ses portes) et de la BADR. Le slogan est le même : « Bienvenue au Président ». A 10 h, la foule s'amasse devant la BADR, au centre-ville, une banque qui a ouvert ses portes il y a quelques semaines et que M. Bouteflika vient inaugurer. Sur le trottoir d'en face, un groupe de jeunes se fait entendre : « Anwa wigui, d'Imazighen. » Le Président abhorre un large sourire et salue longuement la foule. L'hélicoptère qui ne cesse de tournoyer sur la ville couvre les voix contestataires. Amar, ancien cadre de l'éducation déclare : « J'attends le Président pour un seul point ,qu'il annonce l'officialisation du tamazight ! » Abdelaziz Bouteflika n'a pas évoqué cette revendication vieille de 25 ans. Et, ils sont nombreux à éprouver le même sentiment après le discours : la déception. Saïd Boukhari, militant du Mouvement berbère, qui a avoué ne pas s'être déplacé au stade, déclare : « Bouteflika a décidé d'aller prêcher la réconciliation avec ceux qui ont détruit le pays, mais refuse de réconcilier l'Algérie avec son identité. Des jeunes déchaînés En tout cas, je m'y attendais. » Dans le quartier des Genêts, ancien fief de la contestation des archs, le portrait géant de Toufik Namane, jeune manifestant tué lors de la marche du 14 juin 2001, rafraîchit douloureusement les mémoires. « Lui et tant d'autres ne sont plus que des pièces de musée. Leur mémoire est trahie », dit un ancien délégué des archs qui s'est retiré du mouvement. Les dizaines de personnes massées le long de la rue Lamali, où se trouve le CHU Nédir (le chef de l'Etat y a fait escale au service d'hémodialyse), caressaient l'espoir d'entendre le Président se prononcer lors de son discours sur l'officialisation du tamazight et annoncer un plan spécial de développement pour la région. Vers 11 h, la tension commençait à monter à l'extérieur du stade. Le bain de foule du Président Bouteflika était à l'évidence impossible. Il n'a pas foulé les rues de Tizi Ouzou. Les slogans traditionnels hostiles au Pouvoir fusaient avec insistance « Pouvoir assassin », « oulach smah oulach », « Imazighen ». A 11 h 20, la foule en colère force le cordon de sécurité. Panique générale chez les policiers. Le pire est à craindre. A l'intérieur du stade, dans le fameux virage des supporters de la JSK, des dizaines de jeunes sont déchaînés. Ils ont copieusement chahuté le discours du chef de l'Etat. Expression d'un ras-le-bol et crainte d'horizons encore plus sombres. Quant à Amar, le retraité de l'éducation, c'est une autre occasion pour déchanter. La déception est incommensurable.