Dans une remarquable étude sur la philosophie des Lumières chez El Farabi, le docteur Mostafa Ghalib (Nahw mawsou'a falsafiyya, Dar El Hilal, 5e édition, Beyrouth, 1983, page 5 à 192) situe El Farabi dans un contexte, dont le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il était loin d'être ce mythique âge d'or de la civilisation arabo-musulmane, époque farabienne en tout point pareille à celle que nous vivons dans l'escroquerie, la gabegie et la médiocrité. En effet, Mostafa Ghalib écrit (la traduction est de votre serviteur, l'esprit tranquille de probité. J'ai été formé à cet art dès les années 1960 par mon propre père, qu'il en soit éternellement remercié. La traduction de tous les passages du texte intégral d'El Farabi sont de votre serviteur, comme de bien entendu. Toute lecture pourtant en proximité avec le temps présent ne saurait engager ma responsabilité tant les propos sont d'une cruelle actualité- A bon entendeur bonne lecture) : « Quel serait donc le tort d'El Farabi si ce n'est d'avoir vécu en une période de luttes, de guerres, de fanatisme, d'intégrisme de l'esprit, de rationalisme autant que de sectarisme politicien ? Cette période de flux d'athéisme, de propagation des idées, de libre pensée et de débauche, fut aussi et surtout celle des revendications de la nécessité de la diffusion des idées libertaires dans toutes les catégories sociales et en toutes contrées musulmanes » (op. cit. p. 5) Y aurait-il comme un quelconque parallèle à oser entre l'époque d'El Farabi ainsi décrite et la très « horrifique » conjoncture du cauchemardesque chroniqueur Ahmed Halli, qui chaque soir d'Algérie avec ou sans éclipse, nous programme des nuits blanches sans musique, sans jedhb ni libations ? Dans ce traité, la cité vertueuse et la cité vicieuse, El Farabi précise : « La cité vertueuse, c'est cette cité qui conjugue en son sein la coopération en toutes choses, grâce auxquelles s'obtient la réelle félicité » (El Farabi, Les avis des gens de la cité vertueuse, page 118). El Farabi poursuit avec plus de précision dans ce même ouvrage au chapitre 26, non sans avoir préalablement expliqué que l'humanité s'est formée sur la base de la coopération et de l'entraide et non par la voie des armes et des massacres. « C'est ainsi que la population s'agrandit et se répartit en communautés sur l'ensemble de la planète en deux catégories : les communautés parfaites et les communautés imparfaites. Les parfaites sont au nombre de trois : les importantes, les moyennes et les petites. Les premières regroupent toute l'humanité, les secondes les communautés plus ou moins larges et les troisièmes les habitants des cités dans une communauté donnée. Quant aux communautés imparfaites, ce sont celles des gens de la campagne, les gens du quartier, les gens des lieux-dits, les gens du gîte, et enfin pour la plus réduite, les gens de la déchéance. Quant à ceux du quartier et ceux des faubourgs, ils comptent au nombre de ceux de la ville en ce que le faubourg sert la ville... La perfection et le Bien suprême se pratiquent dans la ville et non dans des lieux plus réduits ou inférieurs au cadre urbain. De même qu'ils s'obtiennent l'une comme l'autre par choix délibéré et par volonté, le mal et les turpitudes s'obtiennent aussi par choix délibéré et par volonté... » La cité vertueuse c'est celle dans laquelle la coopération entre ses habitants vise à la réalisation de la félicité, de même pour la communauté ainsi que pour le continent... En sorte, la cité vertueuse ressemble au corps humain sain dans lequel tous les organes coopèrent afin de maintenir et d'entretenir la vie de l'être animé. Mais, malgré la différence de fonctionnalité des organes qui sont en fait complémentaires et solidaires par innéisme et volontarisme, un seul organe se distingue de tous les autres, c'est le cœur qui est l'organe moteur essentiel secondé par tous les autres organes qui en dépendent. Cette organisation très hiérarchisée du corps est une parfaite image de ce que devrait être l'organisation de la cité... » (op. cit. p 119) El Farabi se livre alors à une exégèse sur les rapports hégémoniques à l'intérieur de la cité entre gouvernants et gouvernés, qui montrent en quelque sorte, la vision hiérarchisée qui fonde l'analyse objective du philosophe, loin de toute utopie ou idéalisme et se fondant sur le droit naturel. C'est ce que semble dire Mostafa Ghalib « Ce qui est naturel semble être juste. En conséquence, ce qui est naturel c'est la sélection et l'hégémonie, de sorte que l'exploitation du dominé par le dominant s'avère être juste... Cela fait partie du droit naturel, et telle est la vertu. » (Mawsou'a falsafiyya. op. cit, chapitre III, El Farabi, page 97) Abordant le cas des cités viciées ou vicieuses (les cités barbares), il caractérise la cité corrompue comme étant celle où ses habitants adoptent le mal et repoussent le bien. El Farabi établit la nomenclature des cités corrompues comme suit : la cité inique, la cité inculte, la cité immorale et la cité versatile. La cité perverse serait celle-là même dont les habitants ne connaissent pas la félicité et celle-ci n'aura jamais fait partie de leurs préoccupations, précisera El Farabi qui voit en cette cité perverse, six exemples : La cité de la nécessité (nous la connaissons bien celle-là chez nous depuis l'indépendance, elle serait la cité Horizon...), dont les valeurs essentielles sont les préoccupations, quant à la nourriture, les libations, les ateliers de couture, le logement et les mariages (sic)... La cité échangiste, dont la seule préoccupation est le commerce (il n'y avait pas alors de conteneurs) La cité de la veulerie et de la perdition (sic et sans commentaire inutile de la présenter tant elle est devenue notre quotidienneté) La cité de la prodigalité qui joue à la ville du seigneur dépensier pour le prestige (sans commentaire non plus) La cité oppressive, dont les habitants se préoccupent d'opprimer autrui sans souffrir d'être soi-même opprimé. Ce sont des jouisseurs qui ne s'arrêtent qu'à épuisement La cité anarchique dont chaque membre veut être libre de tous ses actes et sans la moindre contrainte (El Farabi, op. cit . p. 131). De son côté, le philosophe Maged Fakhri (Tarikh el falsafa al islamiyya, Ed Dar al muttahhida linnachr, Beyrouth, 1974, 520 pages) précise ces notions de vertus et de vices pour la cité farabienne de sorte qu'elles se départagent en ce que les citadins de la cité vertueuse ciblent la réalisation du bonheur universel partagé qu'il soit de nature sapientiale, matérielle, jouissive, ou généreuse (p. 176), cependant que les citadins de la cité vicieuse sont ceux qui ne connaissent ni ne recherchent le bonheur partagé et collectif, mais qui furent dupés par la programmation d'un bonheur illusoire et factice comme la satiété des bedaines ou le penchant à s'éterniser (sic, p.177) ou encore comme est le cas de « la cité inique ou le commandeur - un faux prophète - recourt aux mensonges et à la ruse pour parvenir à ses fins égoïstes » (sic. p.17)