Al Farabi a-t-il lu Platon et Aristote dans le texte ? On a soutenu qu'il avait la maîtrise parfaite de plusieurs langues (17, aurait-il répondu à Seif Ed Dawla qui l'aurait interrogé à ce propos). La seconde question plus concrète et sans doute moins mythologique revient à savoir si Al Farabi a ou n'a pas lu Plotin et Porphyre, auteurs plus tardifs, plus connus à l'époque et moins soumis au contrôle des discours que l'Eglise exerçait sur les textes anciens surtout les textes païens ? Troisième question préjudicielle celle-là, saint Augustin avait-il été lu en Orient et quelle aura été son influence sur l'Eglise byzantine qui avait fourni nombre de traducteurs de textes anciens grecs et latins vers la langue arabe ? Enfin, Al Farabi avait-il eu connaissance ou avait-il lu les œuvres de saint Augustin ? A défaut de réponses tranchées et précises en la matière, force est de se livrer à un travail archéologique (encore Foucault pour mémoire à destination des escrocs imbéciles et médiocres qui l'ont excommunié de l'université d'Alger où il est tout de même approché au département... des lettres arabes) à seule fin de détecter dans les arcanes du texte farabien des indices de pensée augustinienne. Nous avons vu succinctement, certes, ce qui a bien pu passer de la pensée de Platon dans la pensée et le discours augustinien, revu et corrigé par Plotin et Porphyre. Grosso modo, ce qui a fondamentalement changé, c'est la question de l'origine des savoirs et des connaissances et celle de leur transmission de l'univers céleste à l'univers sensible (réminiscence platonicienne d'une part, et émanation divine et infusion par la grâce chez Plotin et Augustin d'autre part, effort d'acquisition et quête chez Al Farabi). Deuxième volet des passages de Platon-Aristote à Plotin-Augustin c'est celui du rôle de l'être ou de l'étant, efforts rationalistes et sapientiaux chez les grecs, infusions irrationnelles et disciplines draconiennes chez les chrétiens voire avec une rationalité somme toute relative. Ce qui distingue essentiellement le système grec du système chrétien c'est que le premier est universaliste alors que le second est identitaire sémitique. Ce qu'Augustin va introduire fondamentalement dans la nouvelle conception chrétienne catholique, c'est la dimension universaliste qui induit et impose une désidentification et une déjudaïcisation de la religion en la rapprochant davantage de la rationalité grecque, surtout l'alexandrine, hélas pas la byzantine. C'est ce qu'avait parfaitement compris Al Farabi, mais aussi et surtout Albert Camus (rapatrié en France tout dernièrement, la greffe d'identitarisme attardé avortée) quand il étudia la reconversion du christianisme chez saint Augustin à la faveur du rationalisme néoplatonicien de Plotin. Pour Abi Nasr Al Farabi, la complexité du système fait son originalité. Pour ce qui est de la conception du savoir et de la connaissance, El Farabi se rattache à la tradition émanationniste et donc à celle de Plotin et de saint Augustin, mais il ne fait pas intervenir la divine notion de grâce (propre à la chrétienté et induisant une certaine idée de prophétologie inacceptable en Islam, même chiite quoi qu'on ait pu penser). Son système gnoséologique est plus complexe. L'émanation ou science infuse vient de l'intelligence première comme attribut immatériel de « l'UN », par rationalité provoquée et transmise. Ensuite, il y a diffusion selon la chaîne hiérarchisée des dix intelligences régies et régissantes. L'effort de l'homme vers le savoir est une des conditions de l'acquisition de la vertu (à méditer par les escrocs médiocres). Pour ce qui est du statut du savoir, Al Farabi, se rattachant directement aux philosophes grecs, se démarque des penseurs chrétiens catholiques africains et occidentaux désémitisés. Grâce au savoir source de vertu et à la vertu pilier de l'ordre civique, le civisme triomphe du désordre du monde. A l'image de la perfection de l'âme, la cité est en homologie avec le corps sain. Elle fonctionne selon un ordre bio-anatomique pensé par le médecin plus que par le philosophe. Là est l'originalité première de Farabi par rapport à ses prédécesseurs.