Il est 10 h passées ce jeudi, jour du référendum, à Médéa. La rue grouille de jeunes qui donnent l'impression d'avoir d'autres préoccupations que celle d'aller glisser une enveloppe dans l'urne. Les affiches appelant au vote massif pour la charte et collées même sur les murs des école sont arrachées par endroits et griffonnées. Cela fait déjà deux heures que les bureaux de vote sont ouverts, mais l'affluence est très faible. Le chemin menant vers Rebia, située à une vingtaine de kilomètres du centre-ville, est parsemé de maisons en ruine, comme bombardées, abandonnées par leurs propriétaires. L'image est effrayante. Elle montre le degré de violence qui s'est abattue sur la région. Sur près d'une dizaine de kilomètres, entre Sidi Nadji et Ouled Bir Soltane, aucune âme n'y vit. La route est déserte jusqu'à l'entrée de Oued Melah, où une plaque annonce la commune de Rebia. Des hommes armés scrutent les rares passagers qui s'y engouffrent du haut d'une guérite, dressée sur une grande bâtisse fraîchement peinte en bleu et blanc, c'est le siège de la garde communale. Des enfants sur des baudets transportant des jerricans d'eau traversent rapidement la route. La rareté de ce liquide vital a transformé une bonne partie des enfants en porteurs d'eau. En face de la mosquée El Feth, de nombreuses maisons sont complètement détruites. Cela fait longtemps que leurs propriétaires avaient plié bagage pour aller s'installer ailleurs, fuyant la terreur. L'exode a presque vidé le village. Sa population est passée de 11 000 habitants, en 1990 à 4800 en 1997. Durant les trois dernières années, de nombreuses familles sont revenues, portant le nombre d'habitants à 7232. Sur les 3088 inscrits, seulement 15 % ont pris part au scrutin dans les quatre centres de vote. Vers 14 h, de nombreux groupes de femmes font la queue pour exprimer leur choix. Fatma a perdu sept membres de sa famille ainsi que son beau-père. « Je vote pour la paix », a t-elle déclaré, tout en reconnaissant qu'il est « impossible de pardonner à ceux qui nous ont privés de nos proches ». A quelques dizaines de kilomètres plus loin, la ville de Berrouaghia grouille de monde. Ici aussi, les enfants se sont transformés en porteurs d'eau et surtout de bouteilles de butane qu'ils transportent dans des brouettes. Certains quartiers vous donnent l'impression d'être à Kaboul, en Afghanistan, sous le régime des talibans. Des hommes, circulant en tenue afghane de couleur marron, la tête recouverte de long turban et les femmes sont toutes recouvertes de la tête aux pieds , y compris les petites filles. Pourtant dans les 20 bureaux de vote, où sont inscrits 9865 électeurs, le taux de participation vers 15 h n'a pas dépassé les 48 %. Même situation constatée à Ouezra, une des régions les plus meurtries à cause des groupes armés islamistes. Au moins 140 de ses enfants avaient rejoint les maquis terroristes et le nombre des victimes de cette horde armée a dépassé le millier en l'espace de quelques années seulement, poussant quelque 19 fractions à quitter la région. Depuis juin 1998, marquant le dernier attentat terroriste, Ouezra renaît de ses cendres, même si les traces indélébiles d'une violence sauvage sont encore perceptibles à travers les maisons détruites, des écoles brûlées et des routes complètements défoncées du fait des attentats à l'explosif. Cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le bureau Bendjabar Djillali a enregistré un taux de participation de 82 % à 15 h. Un taux surprenant d'autant qu'à notre arrivée sur les lieux, le bureau était vide. Dans cette école, les inscriptions portées sur le tableau sont très suggestives : « Oui à la réconciliation nationale », en grosses lettres. Ici, les femmes ont été les plus nombreuses à voter. « De toute façon, il ne reste que quatre terroristes encore en activité. S'ils reviennent, cela ne changera rien. Les autres ont tous été tués. Cela étant, nous ne pouvons pas pardonner ou oublier ce qu'ils ont fait ici... », lance une vieille femme. « Mais alors, pourquoi avoir voté oui pour le pardon ? » « Je n'ai pas voté pour le pardon, mais pour que Bouteflika soit maintenu », a t-elle répondu. Ce qui est révélateur. Aucun des électeurs avec lesquels nous nous sommes entretenus n'était en mesure d'expliquer pourquoi il a voté. Certains ont déclaré pour l'lslam, pour la paix et d'autres pour ...Bouteflika. Vers 16 h, les bureaux de vote du centre de Médéa étaient presque vides. Le taux de participation dans le bureau Abassi El Hadi, au quartier de M'sala par exemple, a enregistré 30 % seulement. El Hamdania, une autre commune meurtrie par la violence, a enregistré un taux de 72 % vers 17 h. Pourtant, plus de 4000 de ses villageois se sont exilés vers d'autres régions plus clémentes du fait des attaques terroristes sanglantes. Le bureau Dahass Rabah, le centre de Hamdania, était vide en cette fin de journée. Les électeurs ont voté, la matinée, après que les responsables aient mis à leur disposition des bus pour les ramener des villages isolés. A 18 h, les autorités annoncent un taux surprenant de...90,28 %.