Dix minutes après l'ouverture des bureaux de vote, le premier votant passe le cordon de sécurité à l'école primaire El Bachir El Ibrahimi sur les hauteurs d'Alger. Le vieil homme en bleu de Chine, barbe et araquia (coiffe populaire musulmane) regarde sans s'émouvoir le dispositif mis en place pour accueillir le vote du président de la République. Il ne se laisse pas impressionner non plus par l'exposition cérémonielle de l'urne vide que lui montre un agent du bureau. Il tend son bras pour jeter son enveloppe directement dans l'urne béante. L'agent le retient et l'invite à attendre qu'elle soit refermée. Alger se réveille sous le ciel de la moussalaha. Des sans-abri au pied de l'agence Air Algérie au centre d'Alger ne sont pas encore levés. La commune d'El Biar affiche son soutien au projet du Président sur des banderoles fraîches. « Pas de stabilité, pas de sécurité sans la réconciliation nationale », « La société civile de la commune d'El Biar soutient le projet de réconciliation du Président » flottent avec assurance sur la place Kennedy. De l'autre côté du cordon rouge, dessinant le trajet du Président entre le portail de l'école et la salle de cours, les journalistes s'impatientent. On remarque la désaffection des médias étrangers, les chaînes publiques françaises n'ayant pas dépêché leurs caméras. L'on rapporte encore, entre les pas pressés dans la cour de l'école, un rassemblement de familles de victimes à Blida, 45 km au sud de la capitale. Les toilettes de l'établissement ont été fraîchement repeintes. Habitant le même immeuble que le Président, un homme accompagne sa mère venue voter. Elle a oublié ses lunettes. Lui attend sur un banc, car il a déjà voté. Il s'est installé à l'étranger avant le début des hostilités. « Je n'ai pas vécu ce qui s'est passé en Algérie, mais on en discutait beaucoup », raconte-t-il. Il est favorable à la réconciliation. « Avec la mondialisation, il nous faut passer par là », tranche-t-il, inquiet de voir sa mère tarder. « ça prend autant de temps ? », se demande-t-il. Une heure après le premier arrivé, c'est à « Mostapha, le médecin », chuchote-t-on, membre discret de la fratrie Bouteflika, de faire son apparition. Il enjambe sans protocole le cordon rouge après avoir salué des hommes en cravate. A l'entrée de l'école, la garde présidentielle demande aux votants de présenter leur carte d'électeur et leur carte d'identité. Les enfants accompagnant leurs parents sont exemptés de fouille après hésitations. Un homme en chemise orange exprime par de larges grimaces son ennui en se faisant explorer le corps par le détecteur manuel de métaux, que l'agent balade au niveau de ses pieds et de sa ceinture. Un homme à la barbe se dresse à l'entrée des bureaux de l'administration de l'école. Vite, il est fait appel à lui pour entrer rapidement un ordinateur avant l'arrivée du Président. Le Président Bouteflika arrive, annonce un mouvement de foule qui se dresse. La voiture dépose le Président, à 10h44, face l'entrée après s'être engagée dans l'impasse qui mène à l'établissement. En marchant, il regarde fixement la bordure du sentier présidentiel, où se postent les journalistes. Dans la salle de cours, il se prête largement aux objectifs des caméras. Contrairement au référendum pour la concorde civile en 1999, où il avait omis de mettre son bulletin de vote dans l'urne, la laissant dans le sac de rebuts à l'isoloir, le Président smashe l'enveloppe du référendum pour la charte à travers la fente. Abdelaziz Bouteflika ne fera pas de déclaration. Il repoussera avec un sourire stoïque l'invitation rauque d'un journaliste. Il prendra le temps d'écouter les marques d'admiration d'une femme drapée d'un voile noir avant de disparaître derrière la bousculade des caméras et le roulement d'un moteur. A voté ?