Dans la quasi-totalité des agglomérations éparses des régions du Dahra et du plateau de Mostaganem, un spectacle d'un autre âge refait surface à l'occasion du Ramadhan. En effet, installés dans leurs vieilles fourgonnettes, ces épiciers ambulants ne vendent que l'essentiel. Semoules, sucres, huiles, détergents et savons sont proposés dans les moindres recoins de la campagne. Mais à l'occasion de ce mois de jeûne, à l'instar des habitants des villes et des villages, les citoyens de l'intérieur renouent avec la consommation effrénée de boissons gazeuses. Alors que les citadins ont accès aux marques prestigieuses telle que l'inimitable Hammoud Boualem et autres breuvages américains, les habitants de la campagne ne peuvent s'offrir que des marques locales dont la production semble remonter la pente après un net recul consécutif au retour des colas américains et le net regain d'intérêt pour la « Sélecto » aux multiples médailles. Par quoi s'explique cet engouement pour la production locale ? C'est la question que nous avons posée à nombre de citoyens rencontrés au hasard d'une pérégrination à travers le terroir. De leurs réponses, on peut retenir que ce n'est pas tant le prix qui est l'élément le plus déterminant. Il est vrai qu'à seulement 15 DA, la limonade demeure incontestablement le dessert le plus accessible pour le petites bourses. Pour de nombreux citoyens c'est la disponibilité qui prime. En effet, livrées par ces commerçants ambulants (certains se sont équipés de camions plateaux garnis exclusivement de boissons gazeuses) qui ne cessent de ratisser la campagne à bord de leurs engins d'infortune, les caisses de limonade de 12 bouteilles pleines sont échangées contres les vides en moyenne deux à trois fois par semaine. Ce qui permet au chef d'une famille nombreuse d'avoir à table de la « gazouze » pour tout le monde. Mais, pour être livré jusqu'au confins du Dahra ou dans les sentiers poussiéreux du pays des « Médjahers », il faut savoir prendre son mal en patience. Car dès les premières lueurs du jour, ils sont nombreux à épier à l'ombre d'un eucalyptus ou d'un olivier, le ronronnement habituel du camion livreur. Saveurs incertaines Dès que le bruit assourdissant envahit les vallons, chez la sentinelle de service, c'est l'anxiété qui le partage au soulagement. Car l'arrivée du véhicule ne signifie pas toujours la fin du calvaire. Très souvent, les habitants des douars voisins auront été trop gourmands en s'accaparant la totalité de la cargaison. Tant pis pour ceux qui arrivent en fin de parcours. De la limonade il s'en passeront jusqu'au prochain passage du livreur. Et c'est naturellement le dépit qui l'emporte chez ces habitants dont le lien avec le mois sacré passe aussi par l'accès à l'incontournable boisson gazeuse. C'est pourquoi, chez certaines familles, on désigne une véritable sentinelle dont l'unique activité consiste à faire provision de cette boisson aux saveurs incertaines. Peu importe qu'elle soit insipide, voire de mauvais goût, l'essentiel est que le soir, au moment où l'appel du muezzin apporte la délivrance, l'incomparable limonade aux couleurs exotiques, puisse trôner en bonne place sur la « meïda » traditionnelle. C'est en quête de cet irremplaçable breuvage qu'à dos de mulet, à pied, à mobylette et souvent arc-bouté sur une vieille brouette ou confortablement assis sur une antique charrette que ces accrocs surgissent de derrière le plus casuel buisson qui protège du vent. Car parfois l'attente peut durer longtemps.