Quand c'est trop, c'est trop, doivent se dire actuellement les dirigeants espagnols, excédés par le comportement des autorités marocaines en ce qui concerne l'affaire, toujours en cours, des immigrés africains. Les langues commencent à se délier, les dossiers à s'ouvrir avec des révélations tout simplement fracassantes qui vont bien au-delà des récents propos de l'ancien ministre marocain de l'Intérieur Driss Basri, lequel mettait en cause l'inefficacité de l'appareil policier. Et à entendre les dirigeants espagnols, ce laxisme a une raison. Il est voulu et il est rétribué. Et tout cela a un nom : la corruption. C'est la conclusion que l'on tire de la lecture de l'édition d'hier du quotidien espagnol La Razon, qui estime que la corruption qui sévit dans certains secteurs au Maroc a largement favorisé le phénomène de l'immigration clandestine vers l'Espagne et l'Europe. Cette conclusion est tirée d'un rapport des services de renseignements espagnols qui mettent en garde depuis des années contre le fait que la corruption dans beaucoup de secteurs de la sécurité du pays voisin est en train de faciliter la venue de milliers de Subsahariens, écrit La Razon. Le phénomène n'est donc pas nouveau, et seul son caractère massif avec ses drames en a fait un sujet majeur d'actualité. Selon ce journal, des organisations criminelles africaines qui se livrent au trafic des personnes ont réussi à établir un réseau de connexion avec divers pôles de l'autorité marocaine, réseau dont les tentacules s'étendent, relève-t-il, non seulement à des policiers, des gardes-frontières et des membres de l'armée, mais aussi à des magistrats, des procureurs et différentes sphères du pouvoir. La corruption est très fréquente, rendant possible, dans une large mesure, l'action de ces groupes, souligne un rapport du Centre national d'intelligence (CNI, services de renseignements espagnols), daté de décembre 2003, cité par La Razon. Des policiers, des gardes-frontières et des membres de l'armée sont payés, principalement, par les passeurs. En ce qui concerne les ports, les mafias bénéficient de la complicité tant de membres des forces de police que du personnel chargé du mouvement des bateaux, indique le rapport. Selon la même source, il se produit habituellement des cas de manipulation et de subornation de membres d'organes judiciaires, de détentions anormalement courtes de personnes qui ont été déclarées coupables et de poursuite des activités délictueuses dans les prisons même à travers des contacts ou encore l'usage du téléphone mobile. Tout cela, précise le rapport, dans le cas où il a été décidé d'agir contre les personnes suspectées de ces délits, circonstance qui, en général, ne se produit pas, étant donné les liens qu'entretiennent certains membres des réseaux (de trafic) avec les autorités. La Razon note, enfin, que l'immigration clandestine constitue possiblement aujourd'hui, au Maroc, la seconde source de gain illicite après le trafic de haschisch et évalue les revenus que génère cette activité à des dizaines de millions d'euros. Le rapport est véritablement accablant, et d'ailleurs les témoignages recueillis cette fois auprès d'immigrants refoulés le confortent amplement. Avant d'être jetés en plein désert, les policiers et soldats marocains les soulagent de tout ce qu'ils possèdent. A ce sujet, la chaîne de télévision espagnole Télé 5 a diffusé dimanche, dans son journal du soir, un reportage sur les immigrants africains abandonnés par les autorités marocaines au Sahara-Occidental. Selon les témoignages des rescapés, cités par le présentateur de Télé 5, après un voyage de 4 jours en autobus, ils (les forces marocaines) leur ont volé ce qui leur appartenait, les ont frappés et les ont obligés à franchir (le mur) au Sahara-Occidental. L'unique information qui leur a été donnée, a ajouté le présentateur, c'est qu'ils étaient à quelques kilomètres de la frontière avec la Mauritanie et l'Algérie. Les faits dénoncés par les immigrants africains, a poursuivi le présentateur, ont été confirmés par les ONG qui travaillent dans la zone. « Il y avait au moins 700 Africains, ils devaient nous amener ici depuis Nador (nord du Maroc). Où est mon téléphone mobile ? Où sont mes 1800 euros ? Ils les ont volés. Lorsque j'ai voulu les récupérer, ils m'ont frappé avec un bâton sur les pieds », témoigne l'un d'entre eux. Dans une autre série de témoignages, un jeune Camerounais affirme, quant à lui, que les policiers marocains lui ont volé son téléphone portable et 3500 euros ainsi que des dirhams marocains cachés dans une couture de son pantalon et dans sa chaussure. « Les Marocains nous ont tabassés avec des manches de pioche, ils nous ont volé nos biens et nous ont abandonnés dans le Sahara », déclarent d'autres. L'un d'eux montre ses chaussures dépareillées, l'une blanche et l'autre verte, expliquant qu'un policier marocain lui avait pris une chaussure dans laquelle il avait caché 1600 euros. Et l'on parle de droits de l'homme comme pour occulter des réalités qui constituent autant de menaces pour la région.