En terre conquise par les forces de la coalition, Giuliana Sgrena, 57 ans, refuse le titre de « Reporter de guerre ». Elle veut regagner l'Irak en temps de paix. C'est le sentiment qu'elle exprime aujourd'hui, quelques mois seulement après le rapt dont elle a été victime le 4 février 2005 en Irak, alors qu'elle venait de recueillir le témoignage d'habitants de la ville de Falloujah, réfugiés dans une mosquée à l'intérieur de l'université de Baghdad, suite aux bombardements américains de novembre 2004. Travaillant depuis 1988 au service international du quotidien italien Il Manifesto, journal de gauche qui s'est prononcé contre l'intervention militaire en Irak, Sgrena a couvert plusieurs conflits dans le monde, notamment les deux guerres du Golfe et le début du terrorisme en Algérie. Elle est ainsi devenue spécialiste des questions relatives à l'Afrique, au Moyen-Orient et au Maghreb. Jeudi soir, à la Bibliothèque nationale (BN) du Hamma à Alger, Sgrena a présenté son dernier livre Le Front Iraq : journal d'une guerre permanente, suivi d'une vente-dédicace. Le livre, déjà traduit de l'italien vers l'arabe et le français, constitue un témoignage vivant d'une journaliste qui a risqué sa vie pour honorer son devoir de vérité. Il retrace les moments d'avant et pendant la guerre. Comme il détaille les enjeux réels de l'occupation des terres de la Mésopotamie. Elle a donné des informations inédites sur le « scandale des offres » des marchés pour la reconstruction de l'Irak, mettant en cause le Pentagone, mais aussi sur les détournements de fonds d'aide au développement de l'économie de ce pays. Ardente défenseur de la paix, Sgrena est connue aussi par son combat féminin pour la démocratie dans le monde arabo-musulman. Elle a écrit un livre sur la situation politico-idéologique en Algérie, après l'avènement du terrorisme. Amine Zaoui, directeur de la BN, dans son intervention au début de la rencontre, a loué les efforts de Sgrena pour trouver la vérité, son professionnalisme et ses positions courageuses contre la guerre en Irak, à laquelle participent les troupes italiennes. « On ne peut pas être journaliste si l'on reste à l'hôtel. Car le métier exige d'aller sur le terrain vérifier l'information et voir la réalité », a-t-elle souligné d'emblée devant l'assistance venue la voir et écouter son témoignage sur le rapt dont elle est sortie indemne. « Lorsqu'on m'a kidnappée, le 4 février 2005, je me suis posé plusieurs questions, notamment sur mon travail. Mais après, je me suis dit qu'il y a eu auparavant d'autres kidnappings de journalistes. Certains ont été même exécutés », s'est exprimée Sgrena, avant d'ajouter que 67 journalistes ont été tués en Irak depuis 2003. « Certains sont assassinés par des Américains, d'autres ont disparu, et il y a ceux qui ont été enlevés par des terroristes qui se disent de la résistance irakienne », a-t-elle précisé. Sgrena a affirmé que ses ravisseurs l'ont respectée. « Ils m'ont bien traitée. Mais j'avais peur », a-t-elle indiqué. « J'étais enfermée dans une chambre d'une maison située à la périphérie de Baghdad. Un gardien me ramenait régulièrement à manger. Il paraissait gentil et écoutait souvent des versets coraniques », a-t-elle ajouté. Sgrena a subi le premier jour un interrogatoire. « Ils m'ont soupçonnée de travailler avec les forces de la coalition. Ils m'ont posé un tas de questions, même sur ma vie privée. Par exemple, êtes-vous mariée ? Avez-vous des enfants... Ils me paraissaient curieux. Ils cherchaient à savoir le maximum de moi », a-t-elle raconté. « Je leur ai expliqué que je suis contre cette guerre », a-t-elle précisé. Selon elle, les ravisseurs n'étaient pas du Djihad islamiste, mais ils étaient des éléments de la résistance irakienne. « Lorsque le Djihad islamiste avait revendiqué le rapt et diffusé un communiqué dans lequel il avait donné un ultimatum de 48 heures au gouvernement italien pour retirer ses troupes sinon je serais exécutée, les ravisseurs avaient tenté de me rassurer en me disant qu'ils n'ont rien à voir avec ce groupe terroriste. Mais la peur ne m'a jamais quittée », a-t-elle raconté. Elle a précisé que si elle a pris le risque d'aller sur le terrain et de parler avec les populations, c'était parce que c'était là le seul moyen de faire son travail. Elle s'est dit pour la résistance irakienne, mais contre l'utilisation des civils et des journalistes pour cette cause. Elle regrette, en outre, le manque d'informations sur ce qui se passe ces derniers mois en Irak. « Les Américains ne veulent pas qu'il y ait de l'information vraie sur la guerre en Irak, parce qu'ils savent que c'est une guerre faite sur un mensonge. Et ils font tout pour freiner le travail des journalistes », a-t-elle soutenu, avant d'enchaîner que cette guerre « a créé le terrorisme là où il n'existait pas ».