Sgrena Giuliana ne s'est pas départie, lors de la présentation de son livre, jeudi à la librairie du Tiers-Monde (Alger), à laquelle fut conviée la presse, de son bagout, en dépit de son français quelque peu hésitant. Son livre-témoignage, dont le titre en italien est Fuoco amico (Feu amical), paru en 2005 chez le prestigieux éditeur Feltrinilli, ne peut avoir, à l'entendre, la même connotation en français. Embuscade à Baghdad est le titre choisi pour l'édition française, dont l'exclusivité est revenue aux éditions Casbah, initiatrices de la rencontre. Sgrena Giuliana y a fait le récit de son passage dans la gueule du loup. Elle s'étalera ainsi sur les conditions de sa détention. Partie couvrir les élections législatives du 30 janvier 2005 pour le compte du journal El Manifesto, la militante de gauche était loin de se douter qu'elle sera prise en otage, comme l'ont été, quelques jours auparavant, ses deux compatriotes. Sur les raisons de son kidnapping, le 4 février, à la sortie de l'université Nahrain, où elle venait de s'entretenir avec les rescapés du massacre perpétré à Falluja, la ville des mosquées, elle dira avec une pointe de gêne dans la voix : « Je pouvais leur servir de moyen pour d'éventuels dividendes politiques, mais non financiers. La question m'a hantée pendant la durée de ma captivité. » Evoquant ses ravisseurs, Giuliana dira qu'il ne peut s'agir que de résistants. « J'en ai eu la conviction en les fréquentant de près. Ce sont des résistants appartenant à la mouvance baasiste. Ils sont religieux, mais ne sauraient en aucun cas être comparables aux affidés du Jordanien Zarqaoui, lesquels ne se soucient nullement de la vie des Irakiens. Seul le gain guide leurs actions », lâche-t-elle. Pour elle, d'ailleurs, il compte de faire la distinction entre les résistants et les terroristes. Aussi, le Djihad islamique, groupuscule inconnu, revendiquera, à la grande surprise de ses ravisseurs, l'enlèvement et menacera le gouvernement de Berlusconi de représailles si les troupes italiennes engagées dans la guerre ne quittent pas l'Irak. De plus, elle ne manquera pas de rappeler cet épisode rocambolesque qui a failli faire échouer l'opération de sa libération et dont elle sortira avec une blessure à l'épaule. L'agent du Sismi (services secrets italien), Nicola Calipari, en voulant la protéger a été tué. La magistrature italienne n'a pas suivi le verdict de l'armée américaine, en condamnant le soldat qui a tiré les trois rafales sur le véhicule qui la ramenait à l'aéroport de Baghdad, le 4 mars, après presque un mois de captivité. « J'ignore les tenants et aboutissants des négociations, mais ce dont je suis sûre, c'est que les Américains, pourtant alliés de l'Italie, n'ont guère apprécié la manière dont s'y sont pris les Italiens pour me libérer », insiste Giuliana. Concernant son retour éventuel en Irak, elle lancera : « J'espère un jour y retourner, mais le faire aujourd'hui est tout compte fait suicidaire. » Ce qui chagrinera le plus la journaliste, opposée à la guerre, ce sont les perspectives désolantes offertes au pays des Chaldéens et surtout à ses jeunes. La situation se dégrade davantage en Irak, s'insurge-t-elle, sans que la communauté internationale ne se décide à y mettre le holà. Celle-ci est tenue en haleine par la guerre déclenchée au Liban. A l'en croire, les Américains ont favorisé la montée des communautarismes, longtemps mis en sourdine par le régime totalitaire de Saddam Hussein. Elle en veut pour preuve l'installation, comme ce fut le cas dans les provinces de l'ex-Yougoslavie, de pas moins de trois sociétés de téléphonie mobile, après que le réseau eut été saccagé. Les personnes qui ont accueilli avec des cris de joie Giuliana ont été contraintes de jouer des coudes pour se faire dédicacer l'ouvrage. Tiré à plus de 1000 exemplaires, il s'en vendra plusieurs ce jours-là. Acquise par les éditions Casbah, la librairie du Tiers-Monde, située à la place Emir Abdelkader, s'est avérée trop exiguë pour contenir ce flot de gens où l'on peut apercevoir de tout : du diplomate au long cours au citoyen lambda.