Quand un enfant se lance le défi de jeûner, rien ne peut lui faire changer d'avis, pas même les conseils avisés de ses parents qui tenteront de l'amener à y renoncer en lui expliquant que le jeûne à un âge précoce peut avoir des répercussions négatives sur sa santé et sa croissance. Il est admis que les enfants qui n'ont pas atteint l'âge de la puberté ne sont pas astreints à l'accomplissement de cet acte religieux, y compris pendant le mois sacré du Ramadhan. Pourtant, pensent les spécialistes en socio-psychologie, beaucoup de parents préfèrent céder à cette volonté obstinée plutôt que de contrarier ce besoin chez l'enfant de se mesurer aux adultes pour leur prouver, avant l'heure, qu'il est capable aussi bien qu'eux de supporter la faim et la soif. En agissant ainsi, les jeûneurs précoces semblent vouloir se convaincre et montrer aux autres qu'ils sont aptes à endurer les conséquences des privations et qu'ils ne sont pas aussi fragiles que le pensent leurs protecteurs, ceux-là mêmes qui ont tendance à les couver comme des oisillons dans leurs nids douillets. En se soumettant précocement à cette épreuve du Ramadhan, l'enfant jeûneur entend, en plus de ce besoin d'affirmation de sa personnalité, dire à ses parents qu'en faisant le carême, il acquiert le droit de se mettre, à la rupture du jeûne, à «la table des grands» (meïdat el f'tour) de laquelle les petits sont généralement tenus éloignés, le temps que les adultes se rassasient. Tout enfant ayant décidé de jeûner ne manquera pas, par ailleurs, de sommer sa maman de le réveiller au moment du s'hour, lequel exerce sur lui un attrait bien particulier car il soupçonne les «grands» de manger des choses auxquelles il n'aurait pas droit, sous prétexte qu'il ne jeûne pas. A l'école et à la maison, le jeûne prend pour eux l'allure d'une véritable compétition entre enfants de même âge (un jeu d'enfants, quoi !) et gare à celui qui faillira à son engagement de jeûner toute la journée, car tout «wakkal ramdhan» (non jeûneur) s'exposera inévitablement aux quolibets amusés, parfois à la limite de la violence, de ses camarades. Quand un enfant ne peut aller au terme d'une journée de jeûne, il finit par manger ou boire, mais il s'arrange pour le faire loin des regards afin d'éviter d'être la risée des autres. Tout un rituel autour du primo-jeûneur. De toute façon, il usera de tous les stratagèmes pour cacher son jeu et n'avouera jamais avoir rompu le jeûne. Quand un enfant jeûneur est soupçonné de tricherie par ses camarades, il est soumis à un véritable test de vérité consistant à lui demander par exemple de tirer la langue : si celle-ci est d'aspect pâteux et striée, sous l'effet de la faim et de la soif, on décrétera que le jeûne est établi ; à l'inverse, si la langue est d'apparence lisse et rosâtre, cela est considéré comme un signe de rupture du jeûne qui ne trompe pas. En Kabylie, l'enfant a droit, pour son premier jeûne, à une cérémonie spéciale juste au moment du f'tour, consistant à lui faire déguster une friandise de son choix sur la poutre maîtresse de la maison. Ce rite est destiné à faire de l'enfant «un pilier de la maison». S'il s'agit d'une fille, elle consommera la friandise sur le linteau du domicile familial, une façon de lui souhaiter un mariage heureux. Il est enfin de tradition, pour perpétuer l'esprit d'appartenance familiale, que l'enfant dédie son jeûne à un parent qui n'est plus de ce monde, comme une offrande à la Providence destinée à faire expier au disparu un péché qu'il aurait commis ici-bas.