Us n Pour perpétuer l'esprit d'appartenance familiale, il arrive qu'on demande à l'enfant de dédier son jeûne à un parent qui n'est plus de ce monde, pour expier une faute commise par celui-ci, ici-bas. Rien ne peut dissuader un enfant déterminé à jeûner, pas même les conseils avisés de ses parents ou de ses enseignants quant aux répercussions sur sa santé et ses résultats scolaires, tant il s'agit, pour lui, de se prouver et de prouver, avant l'âge requis, à sa famille et à ses amis que l'endurance des privations n'est pas l'apanage exclusif des adultes. Bien des parents préfèrent céder devant cette obstination, plutôt que de contrarier ce besoin d'affirmation, consistant chez l'enfant à se mesurer, précocement, aux grands. Ils y voient un moyen de les préparer à mieux supporter les dures épreuves que peut leur réserver la vie, la meilleure école, dit-on. Chez ces enfants, la décision de jeûner prend souvent la forme d'un défi qu'ils se lancent, pour démontrer aux autres qu'ils sont bien capables de résister à la faim et à la soif, et qu'ils ne sont pas aussi fragiles que le croient leurs protecteurs qui les couvent comme des oisillons dans leurs nids douillets. Tout enfant décidé à jeûner, avertira d'abord sa mère de ne pas manquer de le réveiller à s'hor, revêtant un attrait bien particulier pour tout jeune jeûneur, tant il soupçonne les grands de lui cacher quelque chose, qu'il se fait un malin plaisir de découvrir. A l'école, au village ou au quartier, le carême, pour ces enfants, prend l'allure d'une véritable compétition et gare à celui qui faillira à son engagement, car il s'exposera vite aux risées de ses camarades. «Tu n'as même pas pu tenir une demi-journée. Tu n'as rien dans les entrailles, et pourtant, la veille, tu as ripaillé comme un ogre. Te voilà toujours insatiable comme une outre dégonflée.» C'est ainsi que Sadia taquine son frère Omar qu'elle venait juste de surprendre, dans un coin, en train de rompre le jeûne, en lui faisant remarquer sarcastiquement : et dire que tu as promis à maman de jeûner comme un homme. Evidemment, il y a bien des jeûneurs qui ne peuvent pas tenir le pari qu'ils ont fait à leurs camarades. Mais cela ils ne l'avoueront jamais en public, au risque de s'attirer des sarcasmes mettant leur «virilité» en doute. Quand un enfant est accusé par ses semblables de tricherie, c'est-à-dire d'avoir violé le «sermon» en mangeant en cachette, on lui demande de tirer la langue pour prouver le contraire. Si le jeûne est observé, la surface blanche de la langue est striée. En revanche, si la langue est de couleur rose et mouillée, on conclut alors que la rupture du jeûne est avérée. Bien sûr, en pareille circonstance, l'intéressé ne fera jamais son mea culpa, mais jurera, à qui veut bien l'entendre, qu'il n'a pas «cassé» le ramadan. Toutefois, il finit bien par se confesser, plus tard, à ses intimes.