Avec une rigueur qui suscite l'étonnement et une régularité qui lui est propre, le Conseil de sécurité des Nations unies est revenu jeudi sur le dossier libanais qu'il gère depuis décembre dernier. Tirant la conclusion de l'échec de la première commision chargée de faire la lumière sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, il a décidé cette fois de mettre en place une commission internationale indépendante. Le Conseil a adopté, à l'unanimité de ses quinze membres, une résolution en ce sens présentée initialement par les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne, qui prend le numéro 1595. Cinq autres pays membres ont coparrainé le texte juste avant le vote. L'opposition libanaise, tout comme du reste les millions de Libanais qui exigent la vérité sur cet assassinat qui a troublé le monde, en est satisfaite, alors que le gouvernement libanais s'est dit hier prêt à coopérer avec cette commission. Le chef de l'Etat Emile Lahoud, le président du Parlement Nabih Berri et le Premier ministre désigné Omar Karamé ont tenu une réunion et décidé que « l'Etat libanais ne manquera pas de coopérer car nous voulons tous connaître la vérité sur l'assassinat » de Rafic Hariri, selon une source officielle libanaise. De son côté, le ministre démissionnaire des Affaires étrangères, Mahmoud Hammoud, a déclaré à la presse que le Liban était « prêt à coopérer sans réserve du moment que les Nations unies se sont dites prêtes à respecter la souveraineté libanaise ». Selon la résolution en question, cette commission, qui sera « basée au Liban, aura pour mission d'assister les autorités libanaises dans leur enquête sur tous les aspects de cet acte terroriste, y compris aider à identifier ses auteurs, commanditaires, organisateurs et complices ».L'opposition a immédiatement salué cette résolution. Une députée du bloc de Rafic Hariri, Ghenwa Jalloul, a affirmé jeudi soir qu'il s'agissait « d'une grande réalisation » et a rappelé que « c'était l'une des principales demandes de l'opposition ». Rafic Hariri a été tué dans un spectaculaire attentat à l'explosif le 14 février à Beyrouth, qui avait coûté la vie à 18 autres personnes. Après l'émotion considérable soulevée au Liban et dans le monde par ce meurtre, le secrétaire général de l'Onu Kofi Annan avait chargé une première commission de trois membres, dirigée par l'Irlandais Peter Fitzgerald, d'enquêter sur les « circonstances, causes et conséquences » de l'attentat. Dans un premier rapport, le 21 mars, la Commission Fitzgerald avait montré du doigt la Syrie et souligné que l'enquête libanaise menée après l'assassinat manquait à la fois des moyens et de la volonté nécessaires pour aboutir. Parmi d'autres accusations, elle indiquait que le président syrien Bachar Al Assad avait menacé Hariri de rétorsions physiques en raison de son opposition à la domination syrienne de son pays. Après l'assassinat et sous la pression internationale, la Syrie a entamé le retrait de ses troupes et agents de renseignements du Liban où elle exerçait une influence sans partage et ce retrait doit s'achever le 30 avril. Le Conseil de sécurité donne un délai de trois mois, éventuellement renouvelable, à la Commission, à partir du début de ses travaux sur place, pour aboutir à une conclusion. Il a décidé que la Commission devra « bénéficier de la pleine coopération des autorités libanaises, y compris un accès total à toute information (...) en leur possession », et qu'elle aura « autorité pour recueillir toute information ou élément de preuve supplémentaire (...), ainsi que pour interroger tout responsable qu'elle jugera utile d'entendre au Liban ». Le Conseil prévoit aussi que la Commission devra « jouir d'une totale liberté de mouvement sur le territoire libanais et notamment avoir accès à tout site ou bâtiment qu'elle jugera utile de visiter pour les besoins de son enquête ». De sources diplomatiques, on indiquait avant le vote que la mise en place de la Commission sur le terrain prendrait quelque temps, probablement plusieurs semaines. Ses membres devront être des experts en matière policière et judiciaire et leur recrutement devra être mené avec soin. Selon ces sources, une quinzaine d'équipes de deux spécialistes devraient être constituées, chacune devant être accompagnée d'un interprète. En comptant les membres de leur sécurité rapprochée indispensable, compte tenu des circonstances, le nombre total des personnes concernées pourrait atteindre la centaine. Des réponses sont d'ores et déjà apportées à des questions que se posaient hommes politiques et analystes, relatives justement aux compétences de cette commission. A vrai dire, ceux-là craignent que l'ONU soit utilisée pour des objectifs inavoués. Walid Joumblatt (voir ci-dessous) ne le cache pas.