Mohamed Salah Mentouri est décédé hier à l'âge de 70 ans des suites d'une crise cardiaque. Cet homme, qui avait donné au Conseil national économique et social toute sa signification de 1996 à 2005, période durant laquelle il avait présidé cette institution, s'est donc éteint loin des feux de la rampe. Une rampe qu'il a choisie de quitter de son propre gré en ces temps où la culture de la démission n'est l'apanage que de rares hommes de conviction. Et en ces temps aussi où l'allégeance est de mise, le souvenir des rapports de conjoncture très critiques que présentait le CNES sous Mentouri semble bien éloigné et jette un voile de nostalgie. Refusant que l'institution qu'il présidait devienne une caisse de résonance des bilans de l'Exécutif, M. Mentouri avait choisi de partir en ayant au moins la satisfaction d'avoir fourni un effort de réflexion sur la situation économique et sociale du pays et d'avoir su dire non quand il était bien plus aisé de dire oui. Les témoignages des personnes qui l'ont connu reconnaissent d'ailleurs cette rigueur intellectuelle qui l'empêchait de céder au chant des sirènes. «Je me suis fixé pour objectif de forger un instrument d'analyse critique et de réflexion contributive, capable de fournir une grille de lecture avec des référents éloignés des standards de l'autosatisfaction triomphaliste. En arrière-fond de cet objectif, se dessinait l'ambition de faire de cette assemblée des forces économiques et sociales un creuset de la citoyenneté économique», disait M Mentouri du CNES dans un portrait que le journal El Watan lui avait consacré dans son édition du 6 mai dernier. Il disait aussi que le rapport semestriel de conjoncture, sa production phare ont sans doute contribué à donner au CNES son rayonnement, contrariant le projet caressé, mais jamais abandonner d'en faire une chambre d'enregistrement, une assemblée de pacotille, une enceinte d'opérette, une pièce d'un décorum de complaisance. Même si son passage à la tête du CNES a marqué d'une pierre blanche sa carrière, M. Mentouri n'était pas seulement le CNES. Né le 9 avril 1940 à Hamma (Constantine), Mohamed Salah Mentouri a eu un parcours bien rempli d'un vrai commis de l'Etat qui était attaché à remplir sa mission comme le lui dictait la volonté de construire. Diplômé de l'Ecole des hautes études commerciales (HEC), licencié en droit et titulaire d'un DES en sciences économiques, le défunt avait commencé son parcours d'homme de conviction par son engagement pour l'indépendance de l'Algérie. Il a été membre de l'OCFLN à Constantine, puis en Tunisie et membre de l'Union générale des étudiants algériens UGEMA de 1960 à 1962. Sa modestie et son aversion pour l'exhibitionnisme lui font dire d'ailleurs dans son témoignage sur cette période : «Je ne verserai pas dans la surenchère compassionnelle. Ma contribution personnelle a été trop modeste pour succomber à la tentation coutumière de nos jours, de l'exaltation patriotique ex-post. Elle l'est d'autant plus comparée aux sacrifices consentis, alors par beaucoup, parmi lesquels je compte avec émotion et fierté mon frère Mahmoud (Ahmed Cherif).» Outre son frère Mahmoud mort au champ d'honneur en 1957, nul n'ignore l'engagement patriotique de son frère aîné le professeur Bachir Mentouri dans les rangs de l'ALN. Après l'indépendance, la vie professionnelle de Mohamed Salah Mentouri est entamée par un passage à la Banque d'Algérie puis à la SN-Repal (Société algéro-française d'hydrocarbures) où il était membre de l'UGTA. Il fut licencié sur ordre du ministre de l'Energie de l'époque pour avoir engagé une grève. Il rejoint le ministère du Travail en 1969 avant d'être nommé directeur général à la Sécurité sociale de 1970 jusqu'à 1980. «Je me réjouis d'avoir crédité de mon empreinte la sécurité sociale, dont j'ai été le DG pendant plus de 10 ans, avec pour point d'orgue l'élaboration au sein de la commission nationale de refonte de la Sécurité sociale que je présidais, de projets de textes ayant abouti aux lois de 1983», indiquait M. Mentouri qui avait démissionné dès qu'il avait constaté une contamination de l'institution par des visées opportunistes ambiantes. Il prit ensuite fonction comme secrétaire général du secrétariat d'Etat, puis du ministère de la Formation professionnelle, et ce, de mars 1982 à janvier 1984. Il est appelé à assurer le poste de vice-ministre des Sports, puis vice-ministre chargé du Tourisme d'où il fut limogé pour «son opposition à une privatisation rampante, illégale et non assumée». En 1989, il est le premier président élu du Comité olympique. Le défunt est nommé, en 1991, ministre du Travail et des Affaires sociales, puis ministre de la Santé et des Affaires sociales. En 2001, alors qu'il présidait le CNES, il est élu président de l'Association internationale des conseils économiques et sociaux.