«(...) En intitulant son nouvel ouvrage «La mondialisation: espace ou chaos?» le professeur Chems Eddine Chitour n'entendait pas l'inscrire au registre des incantations. Il fournit bien au contraire une contribution de qualité à une réflexion sereine et courageuse sur ce nouveau paradigme l'inscrivant dans la logique du débat pertinent entre ‘'ce qui est et ce qui doit être''.» Mohamed Salah Mentouri (Préface de l'ouvrage) Il y a quelques jours, un digne fils de l'Algérie profonde nous quittait. Cette personnalité et non des moindres que l'Algérie a perdu, est Mohamed Salah Mentouri. On a tout dit de lui. En lisant les journaux, j'ai trouvé une similitude dans les éloges. Je vais tenter de contribuer modestement par un éloge panégyrique en dépeignant à ma façon son parcours, rappeller quelques activités dans lesquelles il s'est illustré et les vertus morales qui font sa distinction. En tant que président du Conseil national économique et social (Cnes), entre 1996 et 2005, le défunt s'est illustré sur la scène politique et économique nationale. Fort de son expérience et de sa maîtrise des questions économiques et sociales, il a voulu imprimer à l'institution une démarche critique vis-à-vis de l'Exécutif. Pour ce faire, il a dû se battre pour que son institution ne soit pas soumise au gouvernement. L'on retient que, tout au long de sa présidence du Cnes, Mohamed Salah Mentouri avait refusé de faire de cette institution consultative une simple caisse de résonance du gouvernement. «Je me suis fixé, disait- il, dans un portrait fait de lui par El Watan le 6 mai 2010, pour objectif de forger un instrument d'analyse critique et de réflexion contributive, capable de fournir une grille de lecture avec des référents éloignés des standards de l'autosatisfaction triomphaliste.» Les rapports de conjoncture, publiés tous les trimestres, critiquaient à chaque fois les lacunes de la politique du gouvernement et apportaient un éclairage précieux sur la situation globale du pays. Les différents aspects de la politique gouvernementale étaient appréciés et jaugés avec objectivité et réalisme, loin du satisfecit ambiant des dirigeants. Dans l'un des derniers rapports du Cnes, dans lequel les résultats du Programme de soutien à la relance économique (Psre), lancé en 2001, ont été jugés mitigés, de plus, on lit: «La persistance des principales revendications liées aux salaires, aux logements...est le résultat de l'absence d'une stratégie profonde dans le Plan de relance économique.» Nous remarquons qu'en fait, Monsieur Mentouri s'interroge sur la vision du développement actuel de l'Algérie. Dans son allocution d'ouverture de la 25e session du Conseil national économique et social, le Cnes, son président, Mohamed Salah Mentouri, expliquait que «l'embellie financière plus grande cache néanmoins les difficultés et les incertitudes d'une économie qui n'arrive pas à tirer profit des ressources importantes (...)» Dit autrement, cela veut dire que les deniers de la manne pétrolière ne sont pas utilisés pour produire de la richesse. Certes, ils permettent d'acheter la paix sociale, par une distribution de la rente sous forme de logements, de prêts sans contrepartie, ils permettent aussi de donner du travail aux Chinois, Japonais, Français et autres Turcs qui font les routes, les barrages. Mais qu'adviendra-til quand la rente ne sera plus au rendez-vous? Un autre point important souligné dans ce discours et qui dénote tout l'intérêt du président du Cnes est le sort réservé à la femme et l'appel à son amélioration. Nous lisons: «Le mouvement profond d'émancipation et d'émergence de la femme a été contrarié et non détourné de sa trajectoire essentielle ni par le Code de la famille, d'essence rétrograde, ni par le projet intégriste d'acharnement contre la femme et de négation de ses droits à la citoyenneté et à l'égalité des chances. Pour autant, en investissant le champ économique et social, le long processus de transformation du statut et du rôle de la femme s'inscrit dans une courbe tendant, pour l'essentiel, vers la modernité (...)» Les témoignages des personnes qui, ont connu Mohamed Salah Mentouri reconnaissent d'ailleurs cette rigueur intellectuelle qui l'empêchait de céder au chant des sirènes. Sa modestie et son aversion pour l'exhibitionnisme lui font dire d'ailleurs dans son témoignage sur cette période: «Je ne verserai pas dans la surenchère compassionnelle. Ma contribution personnelle a été trop modeste pour succomber à la tentation coutumière de nos jours, de l'exaltation patriotique ex-post. Elle l'est d'autant plus comparée aux sacrifices consentis, alors par beaucoup, parmi lesquels je compte avec émotion et fierté mon frère Mahmoud.» Cette grande famille de patriotes et d'intellectuels qui a donné à ce pays plusieurs ministres, hauts fonctionnaires et professeurs d'université, compte aussi l'engagement patriotique de son frère aîné, le professeur Bachir Mentouri dans les rangs de l'ALN. Pour Abdelhak Brerhi, ancien ministre de l'Enseignement supérieur: «C'était un grand homme d'Etat qui a toujours servi son pays avec beaucoup d'abnégation, de dévouement, d'humilité et de modestie. Je salue en lui l'universitaire qu'il était et en même temps l'homme au grand coeur qui a toujours été du côté des plus démunis. Je salue également en lui le démocrate qui a toujours défendu des idées du progrès. L'Algérie perd en lui un grand homme et la famille des démocrates perd un acteur et un ami. C'était aussi un grand acteur du développement sportif national.» Pour l'ancien chef de gouvernement, Ahmed Benbitour, «la mort subite de Mohamed Salah Mentouri est une grande perte pour l'Algérie. C'était un grand homme d'Etat». Il nous fut donné de le revoir pour la dernière fois à la fin de septembre de l'année dernière où rituellement celles et ceux qui avaient un profond respect pour Boubeker Belkaïd, un autre digne fils de l'Algérie profonde, venaient se recueillir sur sa tombe en toute discrétion. Nous constations au fil des années que le cercle des fidèles s'éclaircissait... L''hommage de l'imam était de mon point de vue sobre court et percutant. Mohamed Salah était un moudjahid pendant la Révolution, ce fut un moudjahid dans la construction du pays et de ses institutions, ce fut un intellectuel et un économiste avisé. Justement, il nous a été donné le privilège de le connaître pour lui avoir demandé il y a quelques années de préfacer un ouvrage que j'ai écrit. Il a fallu d'abord que je lui explique l'ambition du livre; ce fut un débat passionnant qui m'a permis en tant que scientifique non averti des arcanes des sciences économiques, de moduler mon discours à son contact. Je livre au lecteur quelques paragraphes de sa préface: «Le Monde n'est pas une marchandise s'indignent les manifestations anti-mondialisation...En dépit de leur ampleur, ces clameurs d'indignation ne pourront pas ébranler, à coup sûr, des certitudes telles que celles proférées sentencieusement par le président des USA, lorsqu'il affirmait en 1999: «Nous ne sommes qu'au début d'une période qui sera retenue dans l'histoire comme celle de l'âge d'or». En somme, ce serait l'état stationnaire dont rêvait Stuart Mill, exhumée sous la version de la fin de l'histoire annoncé par Fukuyama.» (...) «Qu'il s'agisse des travailleurs français ou américains dégraissés ou des 400.000 licenciés pour des raisons économiques en Algérie, les causes sont identiques: le différentiel de productivité. Pour autant, les différences n'en demeurent pas moins substantielles! Les pays développés s'attellent à reconvertir leur potentiel de production pour le hisser au plus haut niveau de productivité, alors que les nations sous-développées s'échinent à préserver, dans la meilleure des hypothèses, leur chance en vue d'un hypothétique développement sans cesse différé. (...) La mondialisation a été jusqu'ici pour les pays du Sud un facteur de déstructuration économique et sociale et une source de fractures sociales sur le fond de soumission des sociétés à la loi des marchés financiers internationaux.» Terminant la préface, Monsieur Mentouri s'interroge sur l'avenir de l'humanité d'une façon pessimiste. Il annonçait la crise financière de 2008. Nous l'écoutons: «L'avenir des hommes ne dépend que très peu de leur labeur mais d'une économie financière mondiale basée sur la spéculation boursière qui bénéficie d'une liberté de mouvement à laquelle plus rien ne s'oppose...Est-ce ainsi que l'on obtiendra un développement humain durable et que l'on finira avec le problème de la pauvreté dans le monde?» Ce bref aperçu nous montre à quel point l'Algérie est orpheline d'hommes d'Etat de sa stature! Des personnalités comme Mohamed Salah Mentouri transcendent les clivages; elles sont au-dessus de la mêlée. Le jour de son enterrement, les nombreuses personnes qui se sont déplacées pour lui rendre un dernier hommage, ont porté témoignage de son amour pour le pays. Elles sont venues non par calcul ou m'as-tu-vu mais par un attachement sincère à l'homme aux valeurs qu'il incarne. Ces valeurs de l'Algérie profonde, celle de la parole donnée, celle des principes de cette Algérie d'en bas qui n'en finit pas d'être harassée mais qui représente pour beaucoup d'entre nous un repère dans cette nuit de l'intellect. Les Algériens ne sont pas ingrats; ils savent reconnaître les hommes d'exception. Mohamed Mentouri, vous allez nous manquer souvent. A Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons. (*) Ecole nationale polytechnique