Fin août 2010, Khouya (Mon frère), le nouveau court métrage de Yanis Koussim, 32 ans, a décroché le prix Cinema e Gioventù (cinéma et jeunesse) pour la sélection internationale au 63e Festival de Locarno, en Suisse. Et il vient d'être sélectionné en compétition officielle au Festival international du film francophone de Namur, en Belgique, du 1er au 8 octobre. Rencontre avec un cinéaste plein de projets. -Que représente pour vous la distinction obtenue par Khouya à Locarno ? C'est une consécration pour le film, pas pour moi. J'ai encore beaucoup de chemin à faire. Beaucoup de facteurs ont fait que le court métrage soit apprécié par les sélectionneurs de festivals, tels que ceux de Locarno. Je ne vais pas faire le faux modeste. Khouya a reçu un bon accueil du public. Lors de la première projection, la salle était archicomble. Le film a été applaudi deux fois. Mon film a eu un prix sur vingt autres courts métrages en compétition. Locarno est un festival où l'on fait beaucoup de tri. La réaction du public a été géniale. Contrairement à Cannes, où les projections sont destinées aux professionnels, à Locarno le public peut payer sa place et voir un film. Il s'agit de véritables cinéphiles. Les gens m'arrêtaient dans la rue et l'on discutait du film. Je n'ai jamais eu une aussi belle projection dans une manifestation de ce genre. Khouya évoque rapidement la violence domestique. A aucun moment, on ne parlait spécifiquement de l'Algérie. Le phénomène des femmes battues est mondial. Chez nous, il y a des facteurs aggravants en raison des traditions ou de la situation géographique. La violence contre les femmes est plus grave en Espagne par rapport aux pays nordiques. Les gens ont surtout parlé du fond cinématographique du film plutôt que du thème. On a parlé, par exemple, des coupes dans le film et des comédiens Nabil Assli, Salima Abada, Hania Louanchi, Samia Meziane et ma sœur Yasmine Koussim. -Khouya fait partie, semble-t-il, d'une trilogie… Oui, c'est pour cela que j'ai gardé les mêmes acteurs que le premier court métrage, Khti. A l'origine, Khouya ne portait pas ce titre. C'est un pied de nez à certaines personnes qui me demandaient : «A quand Khouya après Khti ?» Le titre allait bien au scénario. Puisque la thématique est la même, pourquoi ne pas faire une trilogie ? Il y a beaucoup de liens entre Khti et Khouya, comme des éléments de décor ou des extraits sonores. Ce n'est pas forcément une suite. Khouya aurait pu être avant Khti, si l'on veut suivre le cheminement chronologique. Après, ils sont indépendants l'un de l'autre. Pour le troisième film, je n'ai pas encore décidé. Cela pourrait être mon premier long métrage. Il aura pour titre Bahara. Il raconte l'histoire d'une jeune femme qui, ayant perdu son mari, est devenue marin pêcheur. Pour rester indépendante, elle a décidé de reprendre le métier de son époux. Sinon, je pense à un long documentaire. Je n'ai pas encore tranché et je me suis dit que c'est une trilogie qui s'est imposée d'elle-même. J'ai déjà un producteur, la société MD Ciné. J'ai toujours refusé d'ouvrir ma propre boîte de production, car être producteur est un vrai métier. Je ne me sentais pas capable jusqu'à quelque temps de diriger les comédiens, de penser mes plans et gérer les problèmes de la production. -Mais là, vous pensez à ouvrir votre propre entreprise ? Oui, mais pas pour produire mes films. Je vais le faire pour d'autres film,s mais peut-être que je ferai la production exécutive pour mes films. Je lance ce projet avec un de mes collaborateurs avec qui j'ai beaucoup travaillé. Nous avons tous deux fait de l'assistanat de production. Je ne suis pas pressé pour le lancement du projet. La nouvelle entreprise sera opérationnelle lors du début de tournage de Bahara. J'espère commencer le tournage en 2011. J'ai écrit une bonne partie du scénario. Je le fais depuis deux ans. Dernièrement, j'ai pris un coscénariste. A la base, je réalise toujours mes scénarios. Là, j'ai compris qu'il y avait des améliorations à faire dans celui de Bahara. Il y avait à mon avis trop de choses. Il fallait tout ramasser… -Est-il vrai qu'il existe une crise de scénario en Algérie ? Il y a cinq ans, j'ai été nommé pour le Fennec d'or du meilleur scénario. Après, personne ne m'a contacté pour en écrire. Ce n'est pas une question de communication. Les gens veulent avoir leurs propres scénarii autant pour le cinéma que pour la télévision. Or, être scénariste est un métier. En Algérie, j'ai collaboré qu'avec une seule personne dans le scénario alors qu'à l'étranger, j'ai travaillé avec plusieurs personnes. Il y a donc une crise de scénario, mais il n'y a pas de crise de scénaristes. En Algérie, j'en connais au moins quatre bons et talentueux. A chaque fois, je sollicite deux d'entre eux pour relire mes scénarios. Ecrire avec un autre scénariste n'amoindrit pas de la qualité de l'auteur, celui qui va réaliser son propre scénario. Avant, j'étais dans la même logique, je ne voulais pas écrire avec les autres… mais après, j'ai compris que c'était une bêtise et qu'il était valorisant d'écrire avec les autres. -Khouya sera-t-il projeté en Algérie ? On vient juste d'avoir la copie en 35 mm. Le court métrage va faire la tournée de certains festivals. Il est important qu'il existe un public pour le cinéma en Algérie, peu importe qu'il regarde le court ou le long métrage. Ce n'est pas une question de moyens. Il existe des producteurs qui ont de l'argent. Il y a quand même une réelle volonté de donner de l'argent pour des films. Après, il faut avoir des projets qui se tiennent. Il y a aussi un manque de salles de projection. Il est honteux qu'une ville aussi grande que Sétif ne possède pas de salle de cinéma, mise à part celle de la maison de la culture. Cette salle est prise d'assaut à chaque fois qu'il y a une projection de film. Donc, il y a un public pour le cinéma en Algérie. Les gens veulent voir des films en salle… -Pourquoi le Festival du court métrage de Taghit s'est-il arrêté brusquement ? L'initiatrice du festival, Yasmina Chouikh, a ses propres projets de réalisation. Il faut doter le festival d'un commissariat, faire comme dans les manifestations similaires à l'étranger. Dommage que le Festival de Taghit ait disparu. Il commençait, après deux éditions, à avoir de l'audience. A Abu Dhabi et au Maroc, on m'en a parlé. On n'a pas tapé sur la table pour essayer de défendre et garder ce festival. Il est important d'avoir une manifestation pour voir et débattre des productions de jeunes cinéastes. Le jeune Lyès Bensalem, qui a fait le making of de Khouya, a eu le prix de la chaîne culturelle franco-allemande Arte. Personne n'a entendu parlé de cette distinction. C'est regrettable. -La thématique de la violence contre les femmes n'est-elle pas un sujet nouvrau… C'est un engagement personnel. Le sujet a été traité mille fois, mais la situation ne s'est pas améliorée. On peut donc encore le traiter sous tous les angles. De ce côté-là, je ne m'inquiète pas. Cela dit, ce n'est pas mon sujet de prédilection. Je viens de terminer un documentaire sur le football. A la base, c'était une commande de la wilaya de Sétif pour les 50 ans de l'ESS. J'ai donné mon accord à condition que je le fasse à ma manière, surtout que je suis le fils d'une star du foot algérien qui a évolué au sein de l'Entente. J'ai organisé un entretien entre mon père et moi sur le foot et le cinéma. Et j'ai appris que mon père devait tenir le premier rôle dans Chronique des années de braise de Lakhdar Hamina, mais il a refusé. Il y a donc comme des actes manqués entre mon père et moi. Durant tout le documentaire, on a discuté de tout cela. Il y a plusieurs degrés d'interview. Mon père commente les images d'archives que je projette sur un écran géant. Des souvenirs vont remonter. Je fais parler des gens en cercle de plus en plus large à partir de la famille. Le titre du documentaire est Papa est une légende. Le montage est prévu pour novembre. J'ai 40 heures de rush et je ne sais pas comment m'en sortir ! -Quel ultime film Yanis Koussim voudrait-il faire ? Adapter à l'écran Léon l'Africain, le roman d'Amin Malouf. C'est un film qui pourrait être tourné dans toute la Méditerranée selon l'histoire. Mais avant, il faudrait que je fasse mes preuves. Je voudrais aussi faire des films de genre. Avec l'ouverture prochaine de multiplexes numériques en Algérie, on aura besoin de beaucoup de films.