Entretien réalisé par Wafia Sifouane La Tribune : A quelques jours de votre départ pour Locarno, pouvez-vous faire un mini-voyage dans le temps et nous relater vos débuts dans le 7ème art ? Y. Koussim : J'ai commencé professionnellement dans le cinéma en faisant de l'assistanat dans le film Si Mohand u M'hand en 2002, mais avant, j'avais réalisé plusieurs courts métrages tout en étant étudiant en droit à l'université de Sétif. D'ailleurs, ces documentaires ont été projetés lors du festival du film scientifique de Sétif, qui n'existe malheureusement plus aujourd'hui. Je crois que faire de l'assistanat dans un film est essentiel pour toute personne voulant faire du cinéma. Et si l'on arrive à se réveiller à six heures du matin et à se coucher à deux heures du matin, c'est qu'on aime vraiment ce métier. Je me rappelle mon premier court métrage qui est en fait un mini-documentaire intitulé La Cité perdue sur les ruines romaines de ma ville, Sétif. J'ai enchaîné par la suite avec un documentaire sur les sourds-muets, sur la fantasia de la région de Sétif et un documentaire sur le tango. Ce dernier, je l'ai réalisé à la fin d'une formation de deux mois en France. Je me souviens qu'à mon premier soir à Paris, j'ai rencontré les danseurs de tango, et c'est là que j'ai décidé de faire un film sur eux. Mon premier court métrage de fiction s'intitule Le Plus beau tango au monde dans lequel ma grand-mère a tenu un rôle. Pouvez-vous nous parler de votre trilogie qui est à son deuxième épisode Khouya ? Au début, je n'ai pas pensé directement à une trilogie. J'ai commencé avec Khti, qui est un court métrage traitant d'un sujet grave, mais d'une manière plus ou moins légère. C'est l'histoire d'une jeune fille qui vole une voiture en pleine nuit pour visiter la capitale ; la pauvre se verra interner dans un asile psychiatrique vu que son acte est un peu fou, surtout venant de la part d'une fille. Le court métrage a été produit dans le cadre de l'événement «Alger, capitale de la culture arabe» en 2007. Par la suite, plusieurs personnes me faisaient la blague de «Khti, quand est-ce qu'on verra khouya ?» Je me rappelle, c'était au sud à Taghit, et un monsieur que je respecte beaucoup me fait une fois de plus la blague. C'est là que j'ai répondu : «D'accord, mon prochain court métrage s'intitulera Khouya.» Pour le troisième volet, je pense à un documentaire «les femmes sur la terrasse» ou bien mon premier long métrage Bahara. Ce dernier relate l'histoire d'une femme dont le mari est marin. Après la disparition de son époux, cette femme campée par Sonia décide de devenir marin à son tour. Concernant Khouya, c'est un drame brut et réaliste à l'extrême. Il parle de trois sœurs brutalisées par leur frère. Il se déroule à huis clos, dans la maison principalement, la violence du frère prenant par la suite des proportions dramatiques. Voilà un peu le résumé de Khouya. J'ai lu dans la presse algérienne des articles qui relatent une fin erronée qui ne correspond pas à mon court métrage, il faut voir le film pour le comprendre. Quant à Khti, je dirai que c'est aussi un drame mais traité d'une manière drôle. Vous considérez-vous comme un autodidacte du cinéma ? Je n'aime pas le mot autodidacte, je préfère l'appellation de cinéaste indépendant car j'ai commencé avec des moyens réduits. J'ai fait mes quatre premiers courts métrages avec presque rien. J'ai eu la chance d'avoir des parents qui m'ont offert une caméra, c'est déjà ça, mais pour le reste, je me suis débrouillé. Dans ce contexte, je tiens à remercier la wilaya de Sétif qui nous a énormément soutenus ; nous avons un wali précurseur car il a compris que le tournage d'un film crée un dynamisme économique dans la région. Pour ce qui est du financement de mes projets cinématographiques, Khouya a été aidé par le FDATIC, je touche du bois pour le moment. Vous préparez en ce moment un documentaire sur votre père, pouvez-vous nous en parler ? Je fais un documentaire sur mon père qui était un joueur de foot à l'équipe de Sétif. Dans ce documentaire, je retrace son parcours professionnel avec les témoignages de ses amis. Il ne s'agit pas d'un hommage à mon père, mais c'est une conversation entre père et fils. Mon père est avocat et moi j'ai fait des études de droit, mais j'ai choisi le cinéma. Mon père est un ex-footballeur et moi je n'aime pas le football. Mais à un moment, j'ai découvert qu'avant ma naissance, mon père a failli faire du cinéma et a failli tenir le rôle principal dans Chroniques des années de braise de Lakhdar Hamina. Bon, il ne l'a pas fait, mais cela m'a permis de constater qu'il y a eu comme un croisement de chemins entre nous deux, une sorte de rendez-vous manqué dont je parle souvent avec mon père. Vous êtes en compétition officielle du 63ème festival de Locarno, qu'avez-vous à dire à propos ? Locarno est une véritable surprise pour moi. C'est un grand festival qui rivalise avec Cannes, Berlin… J'ai envoyé Khouya avec un petit espoir quand même vu qu'il a été projeté à Cannes. C'est vraiment une très bonne chose pour moi car cela véhiculera mon travail et permettra peut-être le financement de mon long métrage. C'est aussi bien pour la nouvelle génération de réalisateurs algériens, pour montrer aux autres que nous sommes capables de produire de beaux films. Le cinéma algérien commence à se réveiller et il ne faut pas qu'on rate le train. Que pensez-vous de la nouvelle génération de cinéastes ? Chacun de nous a son propre univers, on n'appréhende pas le cinéma de la même manière et je considère cela comme un plus pour le cinéma algérien. Nous avons été bombardés par les images dès notre plus jeune âge. Donnez une caméra à une fillette de neuf ans et elle vous fera un film ; il ne sera pas un chef-d'œuvre c'est clair, mais je suis sûr qu'il dégagera une émotion. Un film n'est pas toujours porteur de messages, il peut aussi être porteur d'émotions. Le cinéma en Algérie est en pleine effervescence, il faut juste créer de l'activité et les festivals. D'ailleurs, la disparition du Taghit d'or est une honte pour nous, car on a laissé faire. On aurait dû frapper sur la table et maintenir ce festival que je considère comme particulier. Je pense mettre en place un festival de cinéma à Sétif. Il sera un festival populaire et non pas de cinéphiles pointus. J'ai vraiment envie d'attirer le public dans les salles. Trouvez-vous à la hauteur le réseau de distribution de films en Algérie ? J'ai eu la chance de fréquenter plusieurs distributeurs, il y a les commerciaux et ceux qui fonctionnent au coup de cœur. Malheureusement, en Algérie, la deuxième catégorie n'existe pas, il faut se battre pour faire accepter un film. Les distributeurs algériens ne se décarcassent pas pour la promotion des films et pourtant, il y a plein de films qui méritent d'être distribués en Algérie. Partout dans le monde, les courts métrages sont difficiles à distribuer, ils sont avant tout destinés à la télévision. Hélas, notre télévision ne les achète pas et je ne comprends pas cela. La télévision algérienne est une entreprise étatique et il n'y a aucune raison pour ne pas projeter les œuvres de cinéastes algériens. Le public algérien a vraiment envie de voir des films algériens récents, mais la télévision ne répond pas à ses attentes. Si seulement ce qu'on voit à la télé est de qualité, le résultat est désastreux. Je ne comprends pas les programmateurs qui les passent. Je considère que voir un de mes films à la télévision comme un droit puisqu'elle est publique. Je tiens aussi à corriger l'image des comédiens algériens qu'on juge mauvaise. J'ai appris une leçon en regardant Mascarades réalisé avec des comédiens de la télé. Ce film est excellent et les comédiens ont bien joué; Lyes Salem a su canaliser ses comédiens pour en tirer le meilleur. Avez-vous vous d'autres projets qui vous tiennent à cœur comme… Tichy ? Tichy ! C'est un scénario que j'ai écrit à l'âge de 19 ans. J'étais très influencé par Beverly Hills (rire). Au début, je voulais en faire un film, mais avec le recul, je crois que le scénario est destiné à un téléfilm que je réaliserai un jour. Vous a-t-on déjà refusé un film ? On m'a déjà refusé un scénario – Oasis - sur la région de Timimoun, mais quand j'y pense, je vois que cela a été bénéfique pour moi. A cette période, je manquais de tout, je n'étais pas encore prêt pour un long métrage et, en plus, l'argent proposé par « Alger, capitale de la culture arabe» était loin d'être suffisant. Donc, j'aurais mis mon producteur dans la galère (rire). Je vous fais une petite révélation : je suis en train d'écrire un scénario qui coïncidera avec le 50ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération algérienne.