Z'har, la docu-fiction «militante» de Fatma Zohra Zamoum a la prétention de dénoncer la violence en Algérie et de dévoiler la peau lisse de la peur. Exercice difficile. La folie des hommes s'exprime par la violence et peut prendre également la forme de la passivité tactique. Fatma Zohra Zamoum a tenté de montrer ou à la limite de dénoncer cela, à travers une fiction curieuse. Z'har (chance), projeté lundi soir à la salle El Mougar, à Alger, est un mélange du genre expérimental, du ciné-théâtre, du documentaire et du film dans le film. Il y a d'abord ce parallèle dans le temps : juillet 1997-août 2007. La cinéaste veut tourner un film ; elle engage son frère Omar, Saliha et Allal Ziani et prend la route vers l'est du pays, Tébéssa, Sétif et Constantine. Elle cherche les décors naturels. Mais, la production manque d'argent. Que faire ? Faire le film avec un minimum de moyens, cela va donc ressembler à une docu-fiction. Le making of se mélange ou complète la fiction. Une partie du tournage se déroulera dans un studio parisien. Les décors de Tunis, de Tébessa et de Constantine sont reconstitués en intérieur. Cela fait rappeler, quelque part, Dogville, le film du Danois Lars Von Trier, dans lequel les décors sont minimalistes et l'histoire largement puisée dans l'art de la parabole. «J'ai le projet de faire un film depuis une dizaine d'années. On m'a répété durant toutes ces années que je n'ai pas de chance. Finalement, je ne sais plus ce qu' est la chance», explique la cinéaste, dès le début du film. Les images parfois subjectives de Benjamin Chartier soulignent l'engagement très personnel de la cinéaste. Il n'y a que trois personnages dans Z'har (qui porte aussi le titre « (un)lucky» en anglais). Alia, jouée par Fadila Belkebla, est une jeune photographe vivant dans la capitale française. Elle atterrit à Tunis, à défaut d'Alger, pour rejoindre par route Constantine, afin de rendre visite à un père malade. Chérif, incarné par Kader Kada, est un écrivain en «exil» en Tunisie. Il apprend sa mort en Algérie par les journaux. Le terrorisme «sélectif» des années 1990 avait ciblé des dizaines d'intellectuels et écrivains algériens. Attristé, Chérif veut rencontrer un ami à El Kef, qui peut lui «expliquer» ce qui se passe. Et puis, il y a ce chauffeur de taxi, doux rêveur, qui aspire à partir ailleurs,peut-être en France, pour «vivre». «Tous les jours, il faut faire avec les islamistes et les militaires sans se faire attraper. Je suis champion du «retournage» de veste. C'est fatiguant et je n'y gagne rien. Toujours la misère. Le mieux, c'est partir», confie-t-il. Les trois se rencontrent, chacun avec ses tourments et ses fantasmes. Le passage de l'arabe au français dans les dialogues est perçu comme un élément d'étrangeté entre deux univers. Le véhicule, comme cette Algérie qui n'avance pas, tombe en panne, à plusieurs reprises. Avec son appareil photo, qui traîne avec elle comme un témoin dans une course de relais, Alia fixe «la peur» de Chérif : un visage décomposé et des yeux grand ouverts. Chérif, qui n'accepte pas «l'interrogatoire» du chauffeur de taxi, quitte le véhicule. Alia reste donc seule avec le taxi driver. Il tente de la violer après un arrêt pour un autre dépannage. Dans cette baraque de casse, le temps coule et les lumières changent. Chérif et Alia se retrouvent, il le faut bien, et l'amour semble s'installer. Ils doivent sauver un conservateur de musée blessé par des terroristes alors qu'il cherchait une pièce d'une mosaïque. Le voyage se termine, ou donne l'impression de se terminer devant le rocher de Constantine. Des feuilles, qui peuvent être celle d'un journal, tombent dans le ravin, là où des dizaines de personnes ont trouvé la mort poussés par le désespoir. Désespoir d'un pays qui refuse de sortir des marécages même si le Rhumel poursuit son cours ! A voir de près, l'histoire de Z'har est simple, bourrée de sentiers battus et d'idées usées. Parfois, il n'est pas facile de résister à l'ennui et de se poser des questions sur ce qu'on peut bien comprendre de tout cela. Cependant, le film, fait avec les moyens d'un court métrage et où tout paraît truqué, jette une lumière crue sur l'Algérie des années 1990. Il y a dans ce film une part de poésie, des étincelles qui renvoient à l'esthétique du black theater tchèque et des jets de peinture (la cinéaste est enseignante de l'histoire de l'art). Cela donne une certaine épaisseur au long métrage qui fait oublier le tournage «rudimentaire» en intérieur même si cela n'est pas forcément une mauvaise chose. Fatma-Zohra Zamoum évoque la violence mais sans expliquer ses origines. Ce n'est peut-être pas son propos puisqu'elle est convaincue que «l'Algérie violente» ne nous ressemble pas. L'idée de l'homme blessé dans les ruines peut suffire à suggérer les malheurs d'un pays dirigé par l'ignorance. Comme ce propos de Chérif qui s'interroge «pour qui» il écrivait. La culture n'est-elle pas la première victime de la haine ? «Comme l'écrivain est égaré, il reprend ce qu'avait dit Mouloud Mammeri sur l'écriture à une minorité. Il écrit pour qui, pourquoi ? Il s'agit de questions philosophiques et existentielles», nous a expliqué Kader Kada après la projection. Pour Fatma-Zohra Zamoum, la violence contamine les rapports entre les gens. «Si on élève le niveau du son, tout le monde se met à crier. Le film est un concentré de tout ce que l'Algérie recèle comme contradictions qui sont, à mon avis, source de violence. C'est-à-dire les contradictions féminin /masculin, intérieur /extérieur, la duplicité dans le relationnel, enfin, toutes ces choses là en plus de la sécurité politique, la sécurité financière», a-t-elle ajouté. Pour elle, le terrorisme signifie la peur et la peur est animale. «On n'y peut rien. Il y a un état à dépasser à un certain moment. Cela ne peut pas être l'œuvre d'individus. Il s'agit d'une œuvre collective pour sortir de la léthargie et de l'autocensure», a-t-elle souligné. Z'har se veut donc un film de mémoire. «C'est un film doublement intéressant. Il y tient de la forme et de la narration particulières», a appuyé Kader Kada. Z'har a été déjà sélectionné aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC) à Tunis et au Fespaco de Ouagadougou. Il a été projeté à Bombay et à Dubaï. Fatma-Zohra Zamoum promet de passer à «autre chose». Son prochain long métrage a déjà un titre : «Combien tu m'aimes». «Je vais ouvrir la porte des sentiments entre les personnes. C'est une histoire d'amour dans tous les sens. Cela commence par l'amour filial. Le tournage commence dans un mois», a-t-elle annoncé. Fatma-Zohra Zamoum est auteure de documentaires et de courts métrages tels que La Pelote de laine et La maison de Roy Adzak. Elle a publié également deux romans Comment j'ai fumé tous mes livres et A tous ceux qui partent.