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Le journal El Watan a été suspendu à cinq reprises
Les moments difficiles
Publié dans El Watan le 07 - 10 - 2010

Le ministère de l'Intérieur met en place le 11 février 1996, «des comités de lecture» ou «des comités de censure», dans les trois imprimeries publiques. Des fonctionnaires sont chargés de viser le contenu des journaux avant leur mise sous presse et d'envoyer «au pilon» les éditions non conformes aux dispositions officielles
Quelques années après l'ouverture du champ médiatique, Le journal El Watan et la presse indépendante de manière générale auront vécu, sans conteste, «une année noire» faite de brimades et de pressions multiples, l'objectif étant de décapiter certains quotidiens, qui maintiennent, le cap en refusant de céder sur leur ligne éditoriale et ce, malgré les pressions exercées sur eux. Celles-ci étaient diverses : harcèlement judiciaire, emprisonnement de journalistes, suspensions de titre. Le journal El Watan n'a pas échappé à ce lot d'acharnements véhiculé par les différents départements notamment, le ministère de l'Intérieur, la Défense, la Gendarmerie et la Police. Durant les années 1990, El Watan a pratiquement fait le tour de toutes les pratiques répressives. Le quotidien a été suspendu à cinq reprises et les suspensions étaient parfois de longues périodes, allant jusqu'à quatre semaines.
Nous sommes le 2 janvier 1993, une nouvelle année venait juste de commencer et elle débute mal pour El Watan. Le ministre de la Culture, instruit par le gouvernement, décide de suspendre le quotidien pour une durée de quinze jours. Motif : la publication d'un article sur l'assassinat de cinq gendarmes à Laghouat. Le directeur de la publication ainsi que cinq autres journalistes sont interpellés et mis en garde à vue, le quotidien est officiellement suspendu pendant quinze jours. Le 13 janvier, la mesure de suspension est levée, après que la justice eut relâché provisoirement les journalistes. Face à la résistance des journaux, le pouvoir double de férocité. Le 7 juin 1994, les ministères de l'Intérieur et de la Communication ont signé un arrêté «confidentiel réservé» adressé aux «éditeurs et responsables de la presse nationale», imposant un embargo sur «l'information sécuritaire».
Ce texte, qui précise le mode de traitement des informations «sécuritaires», est complété par un «rappel des axes principaux de la politique médiatique des pouvoirs publics relative au domaine sécuritaire», ainsi, une «terminologie appropriée», afin de ne pas «recourir inconsciemment à une terminologie favorable à l'idéologie et à la propagande de l'adversaire», est imposée aux médias. Six mois après, en décembre de la même année El Watan est suspendu quinze jours, après avoir révélé que l'armée algérienne avait acheté des hélicoptères français qui seront utilisés dans la lutte antiterroriste.Toutefois, le gouvernement excelle dans ses moyens de pression à l'encontre de la presse. Non satisfait, entre autres, de la disposition portant sur l'embargo sur l'information sécuritaire, le ministère de l'Intérieur renforce ces mesures par la mise en place le 11 février 1996, de «comités de lecture» ou «des comités de censure», dans les trois imprimeries publiques.
Des fonctionnaires sont chargés de viser le contenu des journaux avant leur mise sous presse et d'envoyer «au pilon» les éditions non conformes aux dispositions officielles, c'est-à-dire celles contenant notamment des «informations relatives à la situation sécuritaire non confirmées officiellement». Un mois plus tard, le journal El Watan est censuré à deux reprises après avoir donné des informations sur des massacres de citoyens. Le 30 janvier 1998 le gouvernement décide de supprimer les «comités de lecture». La suspension la plus important qu'a vécu le quotidien El Watan a été celle de septembre 1998, le journal est suspendu durant un mois, suite à la publication de documents mettant en cause l'ancien conseiller du président Zeroual, Mohamed Betchine et d'autres personnalités du pouvoir . Aveuglé par la haine et la vengeance, Betchine, avec la bénédiction du chef du gouvernement de l'époque Ahmed Ouyahia, programme la disparition pure et simple du journal.
Pourtant Ahmed Ouyahia avait affirmé, onze mois auparavant, que «la liberté de la presse est un acquis définitif en Algérie». Ce qui s'est passé le 14 octobre 1998, viendra contredire les déclarations du chef du gouvernement. Hamraoui Habib Chawki, alors porte-parole du gouvernement et également ministre de la Communication, lit une déclaration : «les autorités ne resteront pas passives devant ce genre de campagnes tendancieuses».
Quelques heures plus tard, une mise en demeure est adressée à quatre quotidiens La Tribune, Le Soir d'Algérie, Le Matin et El Watan. Les imprimeries d'Etat, qui sont en position de monopole, donnent à ces journaux un ultimatum de 48 heures pour régler l'intégralité de leurs créances, rompant de la sorte et de façon unilatérale, l'accord de remboursement échelonné conclu avec les éditeurs de journaux en avril de la même année. L'ultimatum leur est communiqué un mercredi après-midi, la veille du week-end. Pour les quotidiens mis en demeure, cela signifiait l'impossibilité de contacter leur banque et de procéder au règlement exigé. Immédiatement, les journaux dénoncent le non-respect des accords signés par les imprimeurs et refusent de payer.
Deux jours plus tard, l'imprimeur se ravise. Seuls El Watan et Le Matin sont interdits de parution. Les autres sont invités à envoyer leurs copies à l'imprimerie pour reparaître normalement. Les titres concernés rejettent l'invitation. Rejoints par le quotidien arabophone El Khabar, Le Quotidien d'Oran et Liberté, ils entament une action de grève en signe de solidarité avec les deux journaux restés suspendus. Les éditeurs de journaux privés ont dénoncé dans un communiqué commun des «ultimatums qui rappellent fâcheusement les procédés autoritaires qui ont prévalu les cinq dernières années de 1993 à 1997). Ils se déclarent «fermement déterminés à combattre pour le droit à l'information des citoyens et à la défense des libertés fondamentales». De son côté, le gouvernement soutient qu'il ne s'agit que d'un conflit commercial, mais aux yeux de tout le monde l'affaire est purement politique. Selon les éditeurs, il s'agit «d'une censure qui ne veut pas dire son nom» .Un véritable bras de fer entre les éditeurs de la presse privée et le pouvoir se met alors en place.
Après trois semaines de suspension, alors que trois titres ont arrêté la grève de solidarité, l'argument commercial avancé par les autorités a été démonté par le directeur du quotidien, Omar Belhouchet. Le 6 novembre 1998, le directeur du quotidien El Watan se rend à l'imprimerie muni d'un chèque de 21 millions de dinars, représentant sa dette (reste à payer) auprès de l'imprimerie depuis 1996. L'imprimerie d'Alger (SIA) a néanmoins une nouvelle fois refusé d'imprimer le journal. «Nous n'avons pas reçu de consignes», ont avoué les employés chargés de réceptionner les «bons à tirer». L'imprimerie d'Alger justifie sa position en affirmant que le journal El Watan reste encore redevable de 12 526 000 DA à l'endroit de l'imprimerie du Centre et de celle de l'Est du pays.
Toutefois, sans autre explication, le quotidien est autorisé à reparaître cinq jours plus tard après avoir reçu, la veille, le feu vert de l'imprimerie.De qui les imprimeurs reçoivent-ils les ordres ? L'opinion publique nationale et internationale avait la preuve que la suspension avait bel et bien été politique.


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