Il fut un temps où le patrimoine oral offrait un répertoire inouï d'images, de valeurs et de sagesse. Dans cette académie du passé, ouverte à tout un chacun, par un simple baccalauréat d'existence, les proverbes occupaient une place royale. A la différence de la poésie orale et des contes, ils se vivaient au quotidien, en tous lieux et circonstances. Un Algérien, brillant intellectuel dont on ne dira jamais assez la contribution à la culture nationale, s'avisa un jour de les collecter et de les étudier. Il se nommait Mohamed Bencheneb (1869-1929) et son ouvrage, Proverbes de l'Algérie et du Maghreb, demeure une référence magnifique pour quiconque aime le beau, le bon et le bien. Avec un corpus de plus de 3000 proverbes, il dessina une cartographie de la culture vivante algérienne. «A l'aide d'un proverbe, écrivait-il, on fait taire un bavard, on ravive une conversation, on concilie les cœurs, on évite les longs discours, on admoneste un égaré, on réfute un argument, on répare une erreur, on répond à une invitation». Aussi, donnait-il aux proverbes leur véritable dimension. Au delà d'un art de parler, un art de vivre et, au delà encore, un système de valeurs, dont les excès de prêt-à-penser sont compensés par une extraordinaire diversité et liberté de ton. Bencheneb a suscité des émules : Kada Boutarène avec Proverbes et dictons algériens (1982), Kaci Hajar avec Mon père disait ; proverbes berbères (2008), Khalil Hedna avec Proverbes sétifiens (2008)… Cependant, pour être indispensables et passionnants, tous ces ouvrages ressemblent plus à des congélateurs de patrimoine destinés à fixer une littérature perdue dans son oralité, extraite de la quotidienneté et donc coupée de sa chair. Mais voilà qu'une Algérienne, presqu'un siècle après Mohamed Bencheneb, nous apprend qu'il n'en est rien et que ces merveilles de paroles sont encore vivantes dans notre société. Elle se nomme Rym et officie depuis des années à la chaîne III de la radio. Chercheuse acharnée de trésors de notre patrimoine, c'est dans son émission quotidienne, Raht El Bal, qu'elle s'applique, avec sa voix émouvante et sa délicatesse de propos, à magnifier le legs de nos aïeux et ses échos contemporains. Depuis la rentrée, chaque jeudi, à partir de seize heures, elle anime une émission décapante sur les proverbes. Le résultat est stupéfiant. On appelle de toutes les régions pour proposer des proverbes et leurs significations. L'engouement des auditeurs touche femmes et hommes, et même les jeunes générations. Toutes ces pépites de civilisation sont donc encore présentes dans la mémoire de nombreux Algériens ! Voilà un signe ravigorant de résistance à la bêtise ambiante et à l'acculturation de bazar. Pour cela, en digne et moderne disciple de Bencheneb, en championne de l'algérianité, Rym devrait être elle-même classée au patrimoine culturel immatériel de l'Algérie. Sans congélation, bien entendu.