L'Etat échoue à ramener le calme, huit jours après le déclenchement des émeutes dans la banlieue parisienne. Le mouvement s'est propagé à plusieurs départements. A Clichy-sous-Bois, la nuit appartient aux jeunes révoltés. La journée aux forces de l'ordre. Les rues de Clichy-sous-Bois portent encore les stigmates d'une semaine agitée. Les émeutes ont démarré ici après la mort de deux adolescents, électrocutés dans un transformateur EDF. Ils auraient été poursuivis par des policiers, ce que démentent les autorités mais confirment des témoins. La colère est toujours présente, plus d'une semaine après le drame. Pendant la journée, cette ville semble apaisée. Plus de 300 voitures ont été incendiées ici (plus de 500 véhicules ont été incendiés dans la région parisienne dans la nuit de jeudi à vendredi). Le soir, des jeunes, très remontés, prennent le contrôle des quartiers. « Nous ne savons pas où cela mènera. Le gouvernement a raté une belle occasion de se réconcilier avec la banlieue. En soutenant Sarkozy, Dominique de Villepin se disqualifie. Au lieu de se démarquer du pyromane, il préfère le couvrir. C'est lamentable », se désole Nadir, médiateur. Pas loin de la mairie, des jeunes discutent des évènements de la veille. « Les autres nous rejoignent. Aulnay, Montfermeil, La Courneuve sont solidaires. Il faut dire à Sarokozy que l'on ne nous traite pas de racaille comme ça. On ne se laisse pas insulter, surtout pas par lui. C'est lui la caille-ra. Bientôt ça pétera partout. Sarkozy démission ! », s'exclame, un rien frimeur, l'un d'eux. « Notre travail est de plus en plus sous-estimé. Les jeunes nous assimilent à l'Etat, à la police. Et les autorités nous abandonnent. En les provoquant, Nicolas Sarkozy les pousse dans les bras des extrémistes, des islamistes. Les jeunes se détournent de nous, ils sont devenus sourds à la raison », s'indigne Nadir qui, comme la plupart de ses collègues, demande le retrait des CRS pour que les médiateurs puissent réinvestir le terrain et calmer les esprits. Pour l'instant, toutes les tentatives ont échoué. Les appels au calme ont trouvé peu d'échos. Saïd, lui, ne décolère pas. « Elle est belle l'image que donnent nos enfants. Je suis très en colère contre ces jeunes. S'ils croient qu'ils font du mal à Sarkozy ou à l'Etat, ils se trompent. Les personnes les plus pénalisées sont les habitants de ces quartiers, du Chêne-Point en particulier. Les voitures qui brûlent sont nos voitures, pas celles de l'Etat. On les a achetées avec notre argent, en contractant des dettes. Et pourquoi s'en prendre aux bus ? Les mots utilisés par Nicolas Sarkozy sont peut-être excessifs et provocateurs mais il a raison. Il y a beaucoup de voyous ici. Ils nous pourrissent la vie », s'indigne Saïd. Le sentiment est partagé par beaucoup d'adultes. « Ils ne font rien d'autre que traîner toute la journée. Ils ont saisi les dérapages verbaux pour exprimer tous leurs ressentiments. Malheureusement, comme toujours, ce sont les pauvres qui paient. C'est-à-dire nous, leurs parents », diagnostique Na Nouara, mère de cinq enfants. « Je ne les laisse jamais sortir, sauf le grand qui travaille dans un garage comme apprenti. » Pour Nadir, il faut arrêter l'escalade des mots. « On a vu que ces mots sont la source de tous nos maux. L'image des banlieusards, déjà très négative, viole notre imaginaire. Puis, cette grenade lacrymogène lancée dans un lieu de prière est une bêtise très grave. Cela ne fera que renforcer le sentiment diffus d'une appartenance religieuse. Ces jeunes veulent du respect, rien d'autre. Cela passe par la réconciliation et la reconnaissance des torts causés à toute frange de la population ». « C'est vrai qu'il y a une vraie fracture. Si rien n'est fait, nous allons droit vers un apartheid de fait, la France blanche et chrétienne d'un côté à Paris intra muros et la basanée, exclue, derrière le périphérique », prophétise Ibrahima, voisin de Saïd. Ce dernier le reprend : « C'est déjà le cas. »