« La différence entre un jardin et un désert, ce n'est pas l'eau, c'est l'homme », dit un proverbe bien de chez nous. Cet adage populaire est aisément transposable au domaine économique et fait que la différence entre une entreprise économique qui réussit et celle qui végète repose, incontestablement et avant tout autre avantage, sur la qualité de son management des ressources humaines (MRH). Les spécialistes des ressources humaines s'accordent à dire unanimement d'ailleurs qu'un MRH bien pensé, bien étudié et bien adapté permet de mobiliser pleinement les ressources humaines. Face au contexte de concurrence internationale et d'ouverture du marché du secteur de l'énergie et des mines mais surtout face aux nouvelles exigences de la mondialisation basées sur des normes de qualités universelles et son corollaire la globalisation, la valorisation des compétences s'est imposée, non seulement au plan national mais à l'échelle mondiale, comme principale source de création de performances et de richesses. Le groupe Sonatrach a opté, par l'entremise de la bourse de l'emploi « comme instrument et un cadre d'expression de cette problématique de mobilité interne », indispensable semble-t-il, « pour le développement de l'entreprise et par conséquent pour l'évolution des compétences et des carrières de son personnel. » La bourse de l'emploi, initiée en 1992, se voulait être, du moins dans sa philosophie initiale, un instrument d'organisation et de fonctionnement du marché interne de l'emploi. Elle ambitionnait d'établir des échanges entre les cadres de l'entreprise, les gestionnaires de personnel et la hiérarchie, pour le pourvoi des emplois nouveaux, vacants ou libérés pour différents motifs (cessation de la relation de travail, départ à la retraite, mobilité professionnelle, promotion, ...). Elle permet également, mais toujours dans sa philosophie de départ, d'offrir « des perspectives de carrières fondées sur le libre choix de chacun et sur ses capacités et compétences mises en compétition de façon transparente et équitable. » Il faudrait s'attarder un instant sur les deux notions sus-citées que sont « la transparence et l'équité » qui, selon les critères de certification au référentiel du Management qualité ISO 9000 version 2000, les principales attentes des salariés de leur DRH est qu'elle soit garante de « l'équité, de l'employabilité et de l'éthique. » Par contre, les attentes de l'équipe d'encadrement envers la DRH consistent essentiellement en un partage à trois niveaux : le partage de la vision dans le cadre des enjeux stratégiques de l'entreprise, le savoir en disposant de connaissances suffisantes pour la prise de décision et enfin le partage du pouvoir de suggestions, d'organisation et de décision. Cependant, la réalité sur le terrain est tout autre. En effet, non seulement la bourse de l'emploi est décriée par les cadres et les agents comme étant un outil inefficace mais les outils de gestion des ressources humaines sur lesquels s'appuie la bourse de l'emploi et son processus de fonctionnement sont décriés par de nombreux cadres et gestionnaires qui les considèrent comme étant obsolètes et inefficients. La valse des cadres En effet, depuis la mise en place de cet « outil de gestion des carrières », jamais les cadres gestionnaires et la notion de management des ressources humaines n'a été autant malmenée. Les cadres gestionnaires et les compétences sont « dégommés » au bon vouloir du seul ministre de l'Energie et des Mines. A ce jour, de nombreux cadres gestionnaires et cadres dirigeants, selon la terminologie usuelle à la Sonatrach, sont nommés, mutés ou carrément mis à l'écart sans aucun état d'âme. Pour la seule zone industrielle d'Arzew, depuis le « limogeage », pour ne pas dire la saignée, en juin dernier de 140 cadres au niveau national contrairement à ce que l'on affirme ailleurs, les postes de directeurs de l'ensemble des complexes pétrochimiques et gaziers de la zone industrielle d'Arzew sont assurés par des intérimaires qui n'ont pas postulé à la bourse de l'emploi car leurs postes n'étaient pas censés être vacants encore moins faisant partie de ceux à pourvoir dans le cadre de la mobilité interne ou du prétendu concept de « l'émergence de nouvelles compétences ». Il y a, à peine trois mois, le président-directeur général de l'une des plus importantes entreprises de transport d'hydrocarbures, en l'occurrence la SNTM Hyproc Shipping, dont le siège est à Arzew puis transféré, en partie, dernièrement à Oran, a été relevé de ses fonctions et remplacé par celui de la société Hélios dans l'opacité la plus totale. Finalement, il sera nommé, il y a une semaine à peine, à la tête d'une nouvelle société spécialisée dans la surveillance de la pollution marine en Méditerranée. Ni le premier ni le second n'ont postulé à des postes de cadres dirigeants dans le cadre de la bourse de l'emploi. C'est également le cas pour la nomination du PDG de l'entreprise de gestion de la zone industrielle d'Arzew (EGZIA), des cas de permutations des deux cadres dirigeants, MM. Cherouana et Remini, respectivement désignés pour occuper les postes de PDG de Naftal et de Naftec. Au début du mois d'octobre dernier, c'est la mise à l'écart des présidents-directeurs généraux de l'entreprise de gestion de la zone industrielle de Skikda (EGZIK) et de la société de maintenance industrielle de Skikda (SOMIK). Ce dernier a été remplacé par un ex-chef de département de l'entreprise Methanol, et qui aurait connu des déboires au niveau de la zone industrielle d'Arzew. Et la liste des postes de cadres dirigeants pourvue sans aucune référence à la bourse de l'emploi est longue. Il semble, selon des sources crédibles et concordantes, que des cadres ayant en charge la fameuse cellule « hygiène, sécurité et environnement », connue sous le diminutif de cellule « HSE » serait confiée à une jeune femme ayant effectué une formation en littérature anglaise ? Pis encore, les noms et qualités des agents ayant fait l'objet de « mise à l'écart ou de sanction » sont publiés automatiquement à travers le réseau « Infos express » sur Intranet du groupe Sonatrach. C'est d'ailleurs le cas des six agents mis en cause dans l'explosion du bac de stockage de la raffinerie de Skikda. Enquêtes Des enquêtes internes à Sonatrach, effectuées à la faveur de stages d'induction ou de mémoires de fin d'études (DPGS-MRH), apportent quelques éléments d'information sur l'ensemble des dysfonctionnements et les lacunes observées ou générées par la mise en place de la bourse de l'emploi. Pour les travailleurs « les résultats de la sélection dépendent en grande partie de la nature des liens (d'amitiés ou d'inimitiés) entretenus entre le candidat (l'apprécié) et les appréciateurs (les membres de la commission d'évaluation) qui se connaissent très bien le plus souvent. » De nombreux cadres et agents de Sonatrach s'accordent à dire que « les résultats sont connus à l'avance avant même l'opération de dépouillement. L'opération de sélection ne serait, en fait, pilotée qu'aux fins de mise en conformité avec la procédure. » Beaucoup de gestionnaires reconnaissent, à juste titre d'ailleurs, « qu'avant la mise en place de la bourse de l'emploi, il n'y avait pas autant de frustration. » La bourse de l'emploi s'appuie sur les outils de gestion que sont la fiche de carrière de l'agent qui, de l'avis de tous, n'est pas toujours mise à jour encore moins actualisée et le système d'appréciation (SAP) dit inadapté car « son champ d'application (l'entreprise) ne s'inscrit pas dans une logique de compétence. Ce qui étouffe l'émergence de l'élite. » D'ailleurs une étude effectuée dans un des plus importants complexes de la zone industrielle d'Arzew relève les insuffisances relatives au mode de fonctionnement du SAP qu'elle résume, entre autres, par : « Une mauvaise interprétation des définitions des compétences que doit identifier l'appréciateur, une difficulté affichée, l'absence de fiches de fonctions actualisées, des objectifs assignés sans moyens d'accompagnement, les entretiens ne se font pas dans les normes, les appréciateurs manquent de guides d'entretien commun à chaque poste et ses missions, etc. » Ceci n'est, en définitive, qu'un échantillon des lacunes que les professionnels reprochent à la mise en place de la bourse de l'emploi. En plus, les candidats non retenus dans le cadre de la bourse de l'emploi ne sont pas informés sur les éléments de leurs carences ou de l'écart de leur candidature par rapport aux exigences du profil recherché, pourtant Chakib Khelil lors d'une intervention au Club Excellence Management avait déclaré à l'époque : « Je dois dire que les autres (ceux recalés - ndlr) n'ont pas démérité non plus ; leurs candidatures ont enrichi le vivier des cadres supérieurs du groupe. Et ils auront de nouvelles opportunités pour mettre leurs compétences au service de Sonatrach. » Témoignages Un cadre de la zone industrielle d'Arzew nous confiera à ce propos : « L'évaluation de la compétence passe inévitablement par la définition des composantes de cette dernière qui, dans les modèles normalisés, est représentée par la formation initiale, la formation professionnelle, le savoir-faire et l'expérience. » Cependant, ajoutera notre interlocuteur : « Les candidats potentiels aux postes ne peuvent objectivement répondre à des exigences qui ne sont pas clairement formalisés dans le profil requis des postes soumis à concurrence et prétendre ainsi à une transparence de l'outil de sélection (bourse de l'emploi) au milieu des confusions potentielles en termes de critères de choix. » En conclusion, tous les gestionnaires approchés dans le cadre de ce travail, s'accordent à dire : « Nonobstant le mérite d'exister, la bourse de l'emploi trouve sa crédibilité sérieusement entamée par le doute entretenu quant à la transparence non seulement sur les critères ayant trait au profil requis mais également à l'opacité entretenue à travers les différentes étapes du processus de sélection. » Un autre interlocuteur nous dira : « Les candidats, non retenus ou non satisfaits de l'acheminement de la sélection, seront des témoins à charge d'un processus ayant arrêté l'évolution de leur carrière, mais eux aussi seront des freins aux efforts de changement de leur entreprise. » Finalement, il semble que la bourse de l'emploi aurait eu le mérite de créer un fossé entre les objectifs visés au départ et les résultats réellement obtenus.