L'évocation de la question de la migration renvoie nécessairement à «la fuite des cerveaux» ou à «la mobilité des compétences». Si beaucoup de pays, tels que la Chine, l'Inde et la Corée du Nord, ont su capter avec succès leurs compétences établies à l'étranger, la question reste problématique pour l'Algérie. Car «la migration des compétences n'a commencé à mobiliser l'attention des décideurs et chercheurs que bien tardivement, à partir du moment où elle a commencé à prendre des proportions importantes». Le symposium international sur «La migration et le développement en Afrique», organisé par le Cread, a consacré un long débat sur «La mobilité des compétences et les logiques de retour». Pour le chercheur Abdelkader Djeflat de l'université de Lille (France), la question de la diaspora est «l'une des plus ambivalentes et des plus controversées pour un certain nombre de pays. L'Afrique et l'Algérie en particulier, face à des défis analogues, restent figées dans des positions ambiguës, des a priori, des clichés et une crise généralisée de confiance entre les gouvernements et leurs diasporas et ce, malgré les déclarations de bonnes intentions et les mesures prises ici et là qui relèvent plus de la gesticulation». Le chercheur a souligné, dans son intervention lors du colloque du Cread, qu'il est notoirement connu que la question des migrations en Algérie «n'a jamais été au sommet des préoccupations des autorités publiques et ce, bien avant la situation actuelle de l'exode des compétences». L'absence de politique et de stratégie sérieuse au niveau des instances de l'Etat a donné lieu à «des actions ponctuelles ne s'inscrivant parfois dans aucune logique. L'attitude de léthargie constatée au niveau des politiques publiques, jusqu'à une date récente, sont essentiellement des raisons qui expliqueraient l'abandon par l'Etat des compétences algériennes basées à l'étranger», a estimé M. Djeflat. Au regard du rôle central que peuvent jouer les élites intellectuelles basées à l'étranger dans le développement économique et social, voire politique du pays, l'Algérie tout comme l'Afrique «ne sauraient continuer à temporiser pour mobiliser au maximum ce formidable potentiel et pouvoir faire face au nouveau contexte mondial de la révolution simultanée des TIC, de l'immatériel, du redéploiement du capital international et des nouveaux équilibres géostratégiques», a indiqué le chercheur. Il est d'autant plus impérieux d'agir, sachant qu'une partie de ces compétences arrive massivement dans le dernier quart du «cycle de vie» des compétences, c'est-à-dire la phase de maturité et de déclin où des projets de retour s'estompent. Mme Marisa Fois, de l'université de Cagliari (Italie), a abondé dans le même sens en parlant du nécessaire «changement d'attitude» dans la perspective de faire participer la diaspora au développement du pays. Après avoir passé au crible les timides tentatives des pouvoirs publics couronnées d'échecs, elle a estimé que «la contribution des cerveaux qui ne soit pas seulement économique, mais plutôt sociale et politique, qui pourrait conduire à un retour au pays d'origine, dépendra fondamentalement de la place que le gouvernement décide de lui donner». De son côté, le sociologue Aïssa Kadri, de l'institut Maghreb-Europe (Paris), a évoqué la méfiance entre les compétences algériennes à l'étranger et le l'Etat, due essentiellement au «discours ambivalent de l'Etat vis-à-vis de cette diaspora, mais également de la logique de contrôle qui caractérise l'Etat dans son rapport à l'intelligentsia algérienne basée à l'étranger». M. Kadri a précisé que les migrants «expriment dans le fait de partir un désir d'échapper au contrôle de l'Etat». Pour appuyer ce point de vue, M. Ghllamallah, sociologue à l'université d'Alger, parle des causes structurelles de la fuite des cerveaux : «Un pays qui fonctionne sur la rente n'a pas besoin de l'économie de la connaissance. Les autorités ne prennent pas en considération les compétences nationales, alors comment veut-on qu'elles s'intéressent à celles basées à l'étranger ?» Telle est la problématique fondamentale à résoudre si toutefois il existe une réelle volonté politique au sommet de l'Etat.