Le président Abdelaziz Bouteflika procédera aujourd'hui à l'ouverture solennelle de l'année judiciaire. A cette occasion et comme de tradition, il prononcera devant les magistrats et les invités une allocution dans laquelle il donnera des orientations pour accélérer les réformes dans le secteur de la justice, rapprocher la justice des justiciables, intensifier la lutte contre la corruption, en un mot pour réhabiliter l'institution judiciaire. L'année dernière, dans la même enceinte, le président Bouteflika avait fait sensation avec un discours abondamment commenté alors ; un discours perçu comme un signal fort dans le sens du renouveau du secteur de la justice. Il avait, on s'en souvient, instruit fermement les magistrats pour s'impliquer dans l'action de moralisation de la vie publique et de la société. A partir du siège de la Cour suprême, il avait promis de tordre le cou à la corruption en prenant à témoin les magistrats appelés à être le bras séculier de cette croisade contre les corrupteurs et les corrompus de tout poil, annoncée à grand renfort de publicité. Les citoyens s'attendaient à ce que des dossiers de la corruption soient ouverts, par cartons entiers, les uns après les autres, que le pays s'engageât résolument dans une opération mains propres de grande envergure qui n'épargnera personne, pas même les puissants qui n'ont jamais été inquiétés jusqu'ici, par les opérations conjoncturelles de lutte contre la corruption. Il n'en fût rien. Les quelques grands dossiers de corruption ouverts cette année par la justice et qui ont alimenté la chronique judiciaire, particulièrement les deux scandales de Sonatrach et de l'autoroute Est-Ouest, auront laissé un goût amer auprès des citoyens qui se prenaient à rêver d'une justice plus juste qui ne fera pas ou plus de différence entre les justiciables, qui frappera la bête immonde à la tête avec les engagements politiques pris en haut lieu concernant la lutte contre la corruption. La crédibilité de la justice vient de son indépendance. Le jour où l'on verra, comme cela se passe dans des Etats de droit, un président de la République, un Premier ministre, des membres du gouvernement convoqués par la justice pendant ou à la fin de leurs missions, on pourra alors légitimement penser qu'un déclic s'est véritablement produit dans l'institution judiciaire ! Chez nous, quand on jouit de l'immunité, surtout lorsque l'on occupe de hautes fonctions, c'est pour la vie. Dans tous les cas, l'immunité est synonyme d'impunité. L'égalité des citoyens devant la justice ne peut s'exercer qu'avec une justice libre et indépendante et des magistrats affranchis de toute tutelle. C'est le cœur même du débat qui doit conditionner toute réforme sérieuse, systémique de la justice. C'est ce genre d'engagement politique, de révolution que les citoyens attendent et espèrent. Vouloir dissoudre la réforme de la justice dans le système en place, c'est plus que de la suspicion légitime, pour reprendre un jargon judiciaire.