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Les restes d'un éclair
ABECEDARIUS
Publié dans El Watan le 30 - 10 - 2010

Avec Parménide (515-440) avant J.-C., la philosophie se fait diligente pour la première fois de son histoire, et prend ainsi d'assaut cette créature faible et forte à la fois qui n'est autre que l'être humain. Celui-ci, malgré lui, se voit donc plongé dans le monde de l'étant en ce sens «qu'il ne peut avoir connaissance de ce qui n'est pas». Imrou Al Qays, (500-540), quant à lui, entreprend la même chose dans son poème suspendu, la Moualaka, en affichant, philosophiquement, une nette propension pour tout ce qui touche à la vie de débauche: «Laisse de côté ce qui est passé, dit-il ostentatoirement, cependant, ouvre toi sur l'instant jusqu'au col». Ainsi donc, «Sein», allemand, «Etre», français, «Being», anglais et «woujoud», arabe, tentent, tour à tour, de cerner un concept qui, à peine abordé, ne laisse que des traces éphémères semblables aux «restes d'un éclair», pour pasticher une belle expression de Martin Heidegger (1889-1976), à l'endroit de Parménide.
Là où ce dernier déplace ses pions avec grande circonspection, sachant en cela que le jeu ne prendra jamais fin, Imrou Al Qays, par plaisir existentiel, donne un coup de pied à l'échiquier croyant dur comme fer que la règle du jeu philosophique ne se fait que par saccades. En effet, pour lui, c'est l'instant immédiat qui est intéressant au premier degré.
Parménide, l'homme de raison, dans sa tentative de systématiser sa vision du monde, finit par rendre visite à une femme rompue à la divination dans l'espoir de décrocher quelque réponse à ce qui le tourmente. Imrou Al Qays, tout aussi tourmenté que lui, ne s'embarrasse pas outre mesure, car il sait, par intuition poétique peut-être, que «l'étant» est cette vie de tous les jours dont il faut raffoler. On le voit donc, dans son fameux poème, importuner sa bien-aimée dans son propre baldaquin en plein désert. Pas d'interrogation philosophique, semble-t-il dire ; ce qui compte c'est cette naissance qui se répète à tout instant. Il est à l'image d'un noyé qui est obligé de battre sans cesse des mains et des pieds pour refaire surface.
C'est à croire que ces deux scrutateurs de l'existence font usage de deux langages foncièrement différents l'un de l'autre, pour parvenir à un résultat probant, c'est-à-dire, quelque chose qui amènerait l'homme, d'une manière générale, à se réconcilier avec lui-même tout d'abord. Langage «Cobol» contre langage «Pascal», et pourquoi pas ? L'interrogation, même si elle ne semble être pas la même partout, aura permis à ces deux compères de se confondre avec l'essentiel de l'existence, avec cet «étant», philosophique qui ne s'est jamais essoufflé depuis le cinquième siècle avant Jésus-Christ, en passant par Imrou Al Qays, Ibn Rochd (1126-1198), Kant (1724-1804), Hegel (1770-1831) jusqu'à Martin Heidegger dans son corpus philosophique incomparable, L'être et le temps.
L'essentiel des questions premières sur l'Etre a-t-il changé pour autant depuis Parménide, c'est-à-dire, depuis la naissance de la philosophie en tant que telle? Ne serait-il pas dans la logique même du vivant de penser que ce besoin pressant, et à jamais renouvelé, de se poser des questions dans ce sens fait partie intégrante du code génétique de l'homme ?
Il reste que l'effort consenti en ce domaine, hautement philosophique, depuis la basse Antiquité a toujours été bien soutenu en ce sens, comme le disait Al-Maari (973-1057), qu'il est «impossible à l'homme de se révolter contre son propre moi et de quitter ainsi ciel et terre».
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