Aujourd'hui, (Ndlr : 12 novembre 2010) à 14h30, à l'aéroport Mohammed V de Casablanca, alors que je m'apprêtais à prendre l'avion de 16h10 pour El Ayoun, 4 agents en civil se sont rués vers les comptoirs de la Royal Air Maroc et ont bloqué manu militari le travail des hôtesses qui délivraient des billets d'avion pour les voyageurs en partance pour le Sahara. Ils ont été suivis plus tard par des responsables de la RAM, tout aussi excités, qui ont commencé à taper nerveusement sur les claviers des ordinateurs de manière désordonnée et suspecte. Après quelques minutes, toutes les hôtesses ont quitté leurs postes de travail pour aller rejoindre, à l'écart, ce groupe de responsables et d'agents (sûrement de la DST) qui n'ont cessé durant cette étrange opération de consulter au téléphone un ou des mystérieux interlocuteurs. Finalement, l'hôtesse de la Royal Air Maroc m'a expliqué que l'avion était complet, m'a signifié que mon nom avait été placé sur la liste d'attente et que par conséquent je ne pouvais pas voyager à El Ayoun. Une fausse explication puisque l'agence qui m'a vendu le billet s'était chargée de m'assurer une place. Pour preuve, le photographe Mourad Borja a pu prendre sans problème l'avion de El Ayoun, alors qu'il a acheté son billet un jour après moi. M. Borja m'a signalé que dans l'avion, entre «12 et 14 places sont restées libres».De même, l'avocat et militant des droits de l'homme, Mohamed Messaoudi, qui a assisté à toute la scène et a pris cet avion avec une délégation de l'AMDH, m'a confirmé par téléphone depuis El Ayoun qu'«une dizaine de places sont restées vides». C'est la première fois depuis longtemps qu'un citoyen marocain ne peut pas voyager librement à l'intérieur de son propre pays. Si le Maroc officiel considère le Sahara comme faisant partie du territoire national, il donne par là une preuve éclatante de son contraire. «Que cache-t-on à El ayoun ?» Si nous devons avoir besoin d'un passeport spécial, comme à l'époque du colonialisme, pour passer d'une zone à une autre, il faudrait que l'Etat, garant de notre libre circulation, nous indique les modalités pour obtenir ce précieux laissez-passer. A moins que l'on soit en face de méthodes, illégales de surcroît, qui traduisent une nervosité de l'Etat et une déliquescence de ses centres de décision. Après m'avoir interdit l'exercice de la profession de journaliste pendant dix ans, voilà que cette dictature couronnée cherche à limiter mes déplacements dans mon propre pays. Que me reproche-t-on pour que ce royaume bafoue ses propres lois ? Je ne suis pas un fugitif, je ne suis pas en clandestinité, puisque j'habite au Maroc et je vis au grand jour. Que cache cette fuite en avant ? Cache-t-on quelque chose à El Ayoun ? Ou bien les responsables du pays veulent-ils diluer avec des pratiques d'un autre âge, qui en fait n'a jamais abandonné certaines mentalités féodales, leurs échecs dans un dossier qu'ils ont géré de manière exclusive et musclée depuis 35 ans ? Cela fait pratiquement 6 ans que je suis interdit d'écriture par une décision moyenâgeuse. C'est comme si on avait voulu me couper les mains pour m'empêcher d'écrire et la langue pour m'interdire de m'exprimer. L'Etat marocain veut m'empêcher d'exercer mon métier et par là même de faire vivre ma famille. Il veut me pousser à la paupérisation. Je dis assez. D'une manière ou d'une autre, je ferai entendre ma voix.