Si WikiLeaks n'existait pas, Israël devrait l'inventer.» Cette boutade du quotidien israélien Yediot Ahronot résume à elle seule tout le bien-fondé avec lequel WikiLeaks accrédite les thèses défendues par l'Etat hébreu présentant l'Iran comme une «menace pour le monde». «Israël a raison sur toute la ligne», commentait ce journal – édition du 2 décembre – pour qui les révélations du site prouvent que la nucléarisation de l'Iran «ne relève pas de la paranoïa israélienne». Le fait qu'Israël et ses dirigeants soient relativement épargnés par l'ouragan WikiLeaks, que celui-ci réserve le gros de ses potins aux dirigeants arabes et que ses centaines de milliers de documents rendus publics ont pour fil conducteur le dossier iranien suffit amplement à alimenter en bon grain le moulin des conspirationnistes et à exciter la «grande famille» des professionnels et adeptes de la théorie du complot. A ce propos, Noam Chomsky, le penseur et dissident américain, s'étonnait des confidences attribuées à plusieurs leaders arabes pressant les Etats-Unis d'attaquer l'Iran alors que les «derniers sondages montrent que l'opinion arabe considère que la plus grande menace dans la région est Israël, ceci à 80% ; la deuxième est les Etats-Unis à 77%. L'Iran est considéré comme une menace par 10%». Il se peut, ajoute Chomsky qui s'exprimait sur la chaîne Democracy Now, le 30 novembre, que «cela ne soit pas rapporté par la presse, mais c'est certainement familier des gouvernements israélien et US, par leurs ambassadeurs. Ce qui révèle une haine profonde pour la démocratie de la part de nos dirigeants politiques». Cette affaire ressemble sensiblement à un «beau coup de propagande» qui «pourrait viser à justifier une agression à l'encontre de l'Iran et à créer le consensus autour de cette perspective», juge Pierre Piccinin, professeur d'histoire et de sciences politiques à l'Ecole européenne de Bruxelles (lire : legrandsoir.info). A l'heure où beaucoup d'analystes et observateurs rivalisent le plus souvent de superlatifs et n'hésitent plus à qualifier le phénomène WikiLeaks de véritable «révolution médiatique», de «11 septembre de la diplomatie», etc., d'autres émettent de sérieux doutes sur les objectifs recherchés par ce déballage grandeur nature, le qualifiant tour à tour de «complot sioniste», de «supercherie», d'«arnaque médiatique», de «fuites organisées», d'«opération» et «plan secret» échaudés par les officines du renseignement américain, de «diversion politique», de «contre-feu»… Bref, une version haute en couleur de la théorie du complot dont les fervents adeptes se comptent y compris parmi d'emblématiques chefs d'Etat. Parmi eux figurent le président turc, Abdullah Gül, et l'Iranien, Mahmoud Ahmadinedjad, pour qui la publication de ces documents relève de la pure «manipulation». «Ces documents ont été préparés et diffusés par le gouvernement américain selon un plan et dans un objectif précis.» WikiLeaks mènerait, d'après Ahmadinedjad «une campagne de guerre d'information». Pour Wayne Madsen, un des papes les plus en vue de cette théorie du complot, il ne fait presque aucun doute que WikiLeaks «est manipulé par la CIA» (interview sur Russia Today reprise par plusieurs sites web). Pour le célèbre «analyste» de l'organisation conspirationniste américaine, Lyndon Larouche, les preuves suggèrent que «loin d'être honnête, la fuite (de WikiLeaks) consiste en une désinformation calculée au profit des services de renseignements des Etats-Unis, et peut-être ceux d'Israël et de l'Inde, et qu'elle camoufle le rôle des Etats-Unis et de l'Occident dans le trafic de drogues en provenance d'Afghanistan». Wayne Madsen explique que la CIA, la banque Rothschild, Goldman-Sachs, le Mossad et le milliardaire George Soros sont impliqués «depuis mars dernier dans une vaste entreprise de manipulation visant le site WikiLeaks». Manipulation par la CIA ? Les poussées de fièvre paranoïaques se répandent également dans le vieux continent. Certaines organisations et réseaux nourris eux aussi au sein de la «complotite», qui avaient pourtant soutenu et diffusé à leur début (en juillet dernier) les fuites de WikiLeaks, commencent déjà à faire leur mea culpa. C'est le cas de l'association ReOpen911, la branche française du «Mouvement pour la Vérité sur le 11 septembre» qui s'interroge si «le désormais fameux site d'information WikiLeaks n'est pas manipulé par les services secrets» pour divulguer de soi-disant informations classifiées, en s'appuyant sur la notoriété acquise depuis quelques années avec la révélation de nombreux «scoops» et documents classés «top secret» ? The 9/11 Truth Movement, qui prétend que les attentats du 11 septembre 2001 sont l'œuvre de néo-conservateurs américains, dit ne pas comprendre «pourquoi WikiLeaks n'a encore publié aucun document relatif au ''grand complot''». Même son de cloche chez le réseau Voltaire animé par son trublion et champion des lubbies conspirationnistes, Thierry Meyssan. WikiLeaks enfonce, d'après lui, «des portes ouvertes». Moins enclin au délire et fantasmes sécrétés par les théoriciens du complot, Pierre Bellefeuille, homme politique canadien, émet une hypothèse, suivant laquelle WikiLeaks serait un «programme secret» développé par les centrales d'intelligence, dont la CIA, «pour supporter d'éventuels projets législatifs cherchant à mieux contrôler la libre circulation des informations sur Internet». «Quoi de mieux qu'un outil tel que WikiLeaks pour à la fois déstabiliser et contrôler le monde, à la source, au niveau de l'information, dans le but éventuel de restreindre davantage la liberté de la presse. L'industrie de la peur et de l'insécurité me semble être le vecteur principal par lequel tous les abus de pouvoir peuvent se justifier», écrit Bellefeuille (comite-valmy.org). Julian Assange, le fondateur du site que certains médias traditionnels présentent comme le parfait prototype de l'anarchiste moderne, animé du seul désir de «corriger la trajectoire de la civilisation occidentale» ne serait-il donc qu'un vulgaire pion sur l'immense échiquier de l'Oncle Sam ?