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Treize portes du réel Cinéma. Festival Du film arabe d'Oran
Publié dans El Watan le 11 - 12 - 2010


La fiction dépasse souvent la réalité. Mais pour la dépasser, elle doit d'abord passer par elle. Chaque film, d'une manière ou d'une autre, même en creux, en filigrane ou entre les lignes, entretient un rapport au réel. Les œuvres les plus fantastiques, les plus imaginaires se lisent aussi en fonction d'une réalité. L'organisation prochaine de la quatrième édition du Festival international du film arabe, à Oran (du 16 au 13 décembre 2010) offre l'opportunité de sillonner, en quelque sorte, les préoccupations du monde arabe, la condition de ses habitants via des personnages, les contradictions qui le traversent au travers des situations dramatiques mises en scène, etc. C'est une occasion de découvrir les imaginaires, les visions et les représentations arabes et de s'interroger sur leur nature, leur profondeur ou leur véracité socioculturelle. Outre le film d'ouverture qui sera Hors-la-loi comme on pouvait s'y attendre, les films programmés au cours du rendez-vous d'Oran sont répartis sur plusieurs volets : la compétition longs métrages, la compétition courts métrages et le Focus consacré au cinéma des pays du Golfe. Nous nous sommes intéressés au programme des longs métrages qui compte treize films. Indépendamment de leurs pays d'origine, nous avons voulu les voir comme treize portes ouvertes sur la thématique du monde arabe, treize questionnements d'un réel avec ses enracinements dans le passé et ses projections dans l'avenir. Deux films nous semblent directement rattachés aux problématiques nouvelles du monde arabe, Taxiphone de l'Algérien Mohamed Soudani et Microphone, de l'Egyptien Ahmad Abdalla, lauréat du Tanit d'Or aux dernières Journées cinématographiques de Carthage. Leurs titres déjà sont assez proches l'un de l'autre, comme si les deux réalisateurs avaient, d'emblée, voulu marquer à travers de simples «objets» modernes, leur inscription sur un registre contemporain. Mohamed Soudani, un des premiers diplômés algériens de l'IDHEC de Paris, qui travaille depuis longtemps en Suisse, propose avec Taxiphone l'histoire d'un couple de Suisses qui se retrouve en panne dans une oasis du Sahara algérien. Leur relation en prendra un coup mais, en même temps, la situation les oblige à s'intéresser à la vie locale. Ils découvrent notamment le conflit qui oppose le propriétaire du taxiphone à la commerçante voisine qui tient une boutique d'artisanat. Ce conflit est sans doute le cœur de ce film. Le taxiphone veut en effet s'agrandir au détriment de la boutique, double symbole de l'avancée des technologies de la communication qui n'épargne plus les coins les plus retirés de la planète et du recul des patrimoines anciens. Microphone raconte, pour sa part, le retour d'un Egyptien à Alexandrie, après des années d'émigration et sa découverte d'un univers nouveau pour lui, celui des jeunes qui s'adonnent dans des lieux underground aux nouveaux arts urbains : le tag, les graffitis, le rock, la danse hip-hop… Chez lui, la confrontation avec l'ancien monde n'est pas aussi prononcée que chez Soudani qui, en choisissant le désert comme cadre, accentue les différences. Mais Microphone, en dépeignant au passage la vieille ville d'Alexandrie, avec ses symboles nombreux d'un passé millénaire, introduit également cette idée de confrontation entre passé et présent. Les deux nous signifient clairement que la mondialisation est là, que le monde arabe n'y a pas échappé et que si l'on ne sait pas l'apprivoiser ou s'y adapter, il est illusoire de la nier. Reste à gérer un passé encore très présent, en tentant le pari de sa conciliation avec un présent tendu vers l'avenir qui serait aussi une conciliation entre générations. Ces deux films, avec leurs différences de trames, de lieux et d'actions, sont finalement très proches l'un de l'autre. Sur le registre de ce cinéma de «l'actualité», on peut également citer dans la programmation du Festival d'Oran, ce film courageux du Marocain Hassen Benjelloun, Les Oubliés de l'histoire, son sixième long métrage, en fait. Trois jeunes Marocaines, désespérées de dépasser leurs horizons bouchés chez elles, décident de se rendre en Europe pour y construire une vie nouvelle et meilleure. Elles finiront entre les mains d'un réseau de prostitution en Belgique, qui les ravalera au rang d'esclaves sexuelles. Le film, qui a le mérite d'échapper à une vision moralisatrice, met l'accent justement sur la mondialisation du crime et l'asservissement des femmes issues des pays du Sud. Mais pourquoi le titre du film utilise-t-il le masculin (Les Oubliés…) et non le féminin ? Toujours au chapitre des thématiques nouvelles, le film de l'Algérien Dahmane Ouzid, La Place (titre original Essaha) s'engouffre dans une nouvelle caractéristique des sociétés arabes, à savoir leur urbanisation de plus en plus massive et accélérée. S'il laisse graviter plusieurs sujets connexes (la situation de la femme, la malvie des jeunes, les nouveaux riches…) autour du thème central, ce film, qui est aussi la première comédie musicale algérienne au cinéma, se concentre sur son propos principal : l'utilisation d'un espace «libre» au sein d'une nouvelle cité d'habitation d'une grande ville, Alger en l'occurrence. Cet espace, objet de fantasmes, de rêves, d'appétits ou tout simplement de projets sociaux, va susciter des passions contradictoires et opposées. Là aussi, nous nous trouvons dans la représentation d'une situation nouvelle dans le monde arabe : l'urbanisation des populations, la crise de l'espace, la spéculation foncière, les conflits de voisinage, etc. Le film Fin Décembre du Tunisien Moaez Kamoun, connu pour avoir été l'assistant de Anthony Minguella pour Le Patient anglais» ou de Georges Lucas pour les premiers numéros de La Guerre des étoiles, s'inscrit, lui aussi, dans ce regard du cinéma arabe sur les nouvelles réalités de son environnement. Si des conflits peuvent naître de l'espace urbain, comme dans La Place, le spleen des villes peut aussi frapper. C'est ce qui semble arriver au personnage principal, Adam, jeune médecin qui ne supporte plus l'anonymat et la tension de la ville et décide de se faire affecter dans un village du fin fond de la Tunisie, dans un paysage désolé et frustre. Dans cet «exode urbain individuel», il rencontrera Aïcha, une jeune et belle villageoise qui travaille dans un atelier de confection… Les deux rencontreront Sofiane, émigré du village, venu pour y trouver une épouse. Le croisement de ces trois personnages évoque les processus de différenciation sociale qui se sont installés entre des populations d'origine rurale citadinisées, des populations rurales qui s'intègrent dans des processus de production semi-industriels et des populations encore rurales parties vendre leur force de travail à l'étranger. Aïcha, qui symbolise la deuxième catégorie citée, est aussi une icône du pays partagé entre des forces économiques, sociales et culturelles différentes sinon opposées. Le monde nouveau de l'espace arabe est donc bien représenté dans cette sélection de films. La thématique du passé et ses questions associées de l'identité et de la mémoire sont également bien présentes à travers un autre lot de films. Les Palmiers blessés, du Tunisien Abdellatif Ben Ammar, est sans doute le plus représentatif en la matière. Dans cette coproduction algéro-tunisienne, une jeune femme, Chama, se fait recruter comme secrétaire par un écrivain. A travers un manuscrit qu'il lui a confié, elle découvrira la bataille de Bizerte de 1961, au cours de laquelle des patriotes tunisiens volontaires et peu entraînés affrontèrent l'armée coloniale. Du massacre qui s'ensuivra, Chama est directement concernée puisque son père est décédé lors de cet événement. Alors que commence la guerre du Golfe, elle fait la connaissance d'Algériens qui ont fui la barbarie terroriste. Entre la bataille du passé et les batailles présentes, la quête de vérité de Chama pointe les errements de l'histoire, souvent tronquée et falsifiée dans le monde arabe. Sur un mode fantastique, Les Aiguilles de la montre du Qatari Khalifa El Mouraïkhi, pose aussi la question de la mémoire et des secrets, à la manière d'un conte qui évolue dans l'univers des pêcheurs de perles, introduit au cinéma par le magnifique Mer cruelle (Bess ya bahr) du Koweitien Khaled Esseddik, programmé d'ailleurs dans le Focus Cinémas du Golfe du Festival d'Oran. Dévoiler le secret de djinns peut coûter très cher et la mémoire, comme l'histoire du monde arabe, en sait quelque chose au plan de la censure. C'est aussi sur ce terrain que s'avance le film du Syrien Samir Zekra, qui a étudié à la fameuse école de cinéma de Moscou, le VGIK. Avec Les Gardiens du silence, il met en scène une jeune fille, Zeïn, qui veut devenir écrivaine et dénoncer l'assassinat de Maâzzaz et celui de sa mère. Elle affrontera les tenants du secret qui menacent aussi de la tuer mais sans pour autant venir à bout de sa résolution. Dans l'atmosphère dramatique de cette œuvre, les allusions à des réalités inscrites dans l'histoire lointaine ou récente du monde arabe semblent évidentes. Aussi bien dans Les Aiguilles d'une montre que dans Les Gardiens du silence, le lien entre censure et violence est établi. La censure apparaît aussi bien comme le camouflage de la violence qu'une violence en elle-même. Et c'est le thème de la violence, sous différentes formes, qui apparaît à travers d'autres films en compétition à Oran. L'Irakien Rachid Othmane Oday propose à travers Qarantina, l'histoire d'un tueur professionnel à Baghdad qui assiste, dans son voisinage immédiat, aux violences et abus exercés par un père sur les membres de sa famille. Entre les assassinats dans l'espace public et les violences pratiquées dans l'espace privé, le réalisateur établit une passerelle, comme pour nous signifier que les deux sont liés et se nourrissent l'un de l'autre. Terrible sort que celui de Ramez qui a été maintenu prisonnier pendant vingt ans après avoir été enlevé lors de la première guerre civile libanaise. C'est le sujet du film du Libanais Hojeij Bahij. Que vienne la pluie ! (titre original : Chatti ya deni). Son personnage diminué, déboussolé, rencontre la femme d'un kidnappé qui attend son mari depuis longtemps. Entre eux se noueront des liens fondés sur le désespoir d'un destin commun et sur l'éventualité d'une nouvelle vie. Pareillement, dans Once again du Syrien Joud Saïd, Majed, fils d'un officier syrien, traumatisé par la guerre, rencontre une veuve marquée par la guerre au Liban et, ensemble, ils tenteront de reconstruire l'apaisement et l'espoir sans lesquels rien ne peut être envisagé de positif dans la vie. Pour ces deux derniers films, l'amour apparaît naturellement comme l'antidote de la guerre. L'amour entre un homme et une femme, mais aussi l'amour entre une grand-mère et son petit-fils, comme à travers l'émouvant et beau Son of Babylon» de l'Irakien Mohamed Al Darradji, qui relate l'histoire d'un garçon de 12 ans, qui trois semaines après la chute de Sadam Hussein part sur les routes avec sa grand-mère à la recherche de son père. L'amour encore, avec le film de l'Emirati Saeed Salmeen Al Murry, Les habits de soleil» (Thawbs el chems) l'histoire de Halima, sourde et muette, dont la beauté est convoitée par les hommes de son village. Son handicap sensoriel, mais en fait sa condition de femme, sera un obstacle à son rêve de porter un jour ses «habits de soleil», expression désignant les vêtements nuptiaux. Si ce film se consacre à la condition de la femme, il faut souligner qu'il s'agit là d'un thème transversal à l'ensemble des films cités ici. Même portant sur d'autres thèmes, la femme apparaît comme un sujet central et récurrent de la cinématographie arabe, à l'image des préoccupations qui la concernent dans la société réelle. C'est l'occasion pour de nombreuse actrices, belles et talentueuses, de donner des images et de la voix à toutes les femmes arabes qui n'en disposent pas, multitude muette à l'instar de Halima. Ce survol des thématiques présentes dans la compétition longs métrages du Festival d'Oran permet de relever que le cinéma arabe, en dépit des contraintes, des interdits et ses propres limites, demeure fidèle à la vocation universelle de cet art populaire qui est de divertir mais aussi de constituer une vitrine de la société et de ses tendances. Les 20 courts métrages proposés semblent particulièrement représentatifs des nouvelles générations et, en attendant de les voir, rappelons que la thématique d'un film ne suffit pas à en faire la qualité.

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