L'IMA a encore une fois relevé le défi. Ce n'est pas tous les jours qu'on voit un festival de films arabes à Paris, où les autorités sont perturbées par la canicule ou pour faire fuir les Français du Liban. Chaque soir, il y a une prise de conscience (pour les films) de ce qui se passe à Beyrouth et au Liban-Sud dans l'imminence de leur destruction par Israël. Emotion extraordinaire gagnant le public nombreux de la Biennale à chaque vision des clips vidéo reçus de Beyrouth, plongée dans les fracas des bombes. De manière éclatante, un autre film libanais est venu nous raconter l'histoire meurtrière de Beyrouth. Il s'agit du long métrage fiction de Josef Farès (lui aussi absent de la projection, resté bloqué à Beyrouth) intitulé Zozo. C'est l'histoire d'un gamin de 11 ans plongé dans la tragédie de la guerre civile. Une œuvre apte à faire résonner toutes les douleurs d'un pays de quatre millions d'habitants, dont l'Occident a décidé d'appuyer Israël pour décréter son arrêt de mort. Dans un style profondément sobre, Zozo est une métaphore de notre destin aujourd'hui aussi bien pour les Libanais que pour les Arabes du monde : Quelle emprise, en effet, pouvons-nous avoir sur notre destin face à la cruauté de la guerre, à l'injustice des pouvoirs en place ? Et en même temps, le film de Josef Farès, cinéaste libanais émigré en Suède, est un plaidoyer très fort pour la force et l'intelligence d'un enfant, coupé de sa famille, qui trouve lui-même une solution pour son avenir (dans l'histoire, Zozo rejoint ses grands-parents qui vivent en Suède, il apprend le suédois très vite et trouve sa place dans une société dont il ignorait toujours tout). La qualité irréprochable de deux films maghrébins déjà montrés à la Biennale est aussi à signaler. Djamila Sahraoui a un souci de perfection tant dans la mise en scène de son film Barakat que dans la manière de diriger ses acteurs : Rachida Brakni, Fettouma Ousliha tout comme l'excellent Zahir Bouzrar. Tous les trois font une performance totalement réussie. Et on est enclin à croire, qu'à l'image de Djamila Sahraoui, les cinéastes algériens, les acteurs, les techniciens de notre pays, tous font le travail dans un registre de plus en plus billant, très fort. On attend de voir le film de la Tunisienne Selma Baccar Fleur d'oubli, mais déjà, on sait que l'œuvre de la Marocaine Farida Benlyazid, intitulée Juanita de Tanger, adaptée du roman espagnol de Angel Vasquez La victa Perra de Juanita Narboni, est fort réussi. Le film nous plonge dans Tanger, cité réelle, ville imaginaire qui n'en finit pas de remuer son passé, ses souvenirs, ses nostalgies... Farida Benlyazid raconte ici sa ville à travers un long monologue intérieur d'une habitante, Juanita, mi-Anglaise (par son père), mi-Espagnole (par sa mère). Jeune fille courtisée en 1938 mais enfermée dans une éducation très rigide, andalouse, Juanita refuse le mariage et affronte les bouleversements de la guerre, l'afflux des réfugiés, l'occupation par l'armée de Franco et la fin du statut international de la ville. Les uns après les autres, sa famille, ses amis disparaissent, meurent ou partent en exil. Née à Tanger, grandie dans une atmosphère privilégiée d'une minorité étrangère riche, cosmopolite, Juanita refuse de partir, elle n'imagine pas mourir ailleurs. Pour seule compagne, il y a sa domestique marocaine Hamouche, restée 40 ans à son service. L'enfermement du personnage, son incapacité à surmonter les épreuves, à dépasser les préjugés de son éducation, tout cela est filmé avec beaucoup de sensibilité et de brio par Farida Benlyazid. L'atmosphère de Tanger de l'époque est reconstituée dans ses moindres détails, les voitures, les bars, les décors, les costumes, les salles de cinéma, le théâtre Cervantès, les bordels du bord de mer... Farida Benlyazid montre aussi très bien les rapports coloniaux. Après 40 ans de service, Hamouche demeure une inconnue pour sa patronne, qui ignore tout d'elle, où elle habite, sa vie familiale, jusqu'à son vrai nom...