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Pier Paolo Pasolini, le poète assassiné
Unique passion, la réalité
Publié dans El Watan le 17 - 11 - 2005

Plage d'Ostie, banlieue de Rome, le 2 novembre 1975. Allongé sur le ventre, pull relevé découvrant le bas du dos, un corps sans vie gît sur un terrain vague. Pier Paolo Pasolini, essayiste, poète, cinéaste, écrivain et dramaturge italien né à Bologne en 1922, vient d'être battu à mort, et un véhicule a écrasé son corps deux fois, en marche avant et en marche-arrière.
Le crime reste enveloppé dans le mystère. Enquête bâclée. Suspect qui se rétracte. L'affaire ressemble à une liquidation politique. Polémiste en avance sur son époque, Pasolini luttait contre les réminiscences fascistes d'une certaine classe politique italienne, mais aussi contre les réquisitoires moraux et l'hégémonie culturelle. « Je n'ai pas de preuves ni même d'indices. Je sais parce que je suis un intellectuel, un écrivain qui s'efforce de suivre tout ce qui se passe, de connaître tout ce que l'on écrit à ce propos, d'imaginer tout ce que l'on ne sait pas ou que l'on tait (...). Tout cela fait partie de mon métier et de l'instinct de mon métier », écrivait-il en octobre 1974 dans le Corriere della Serra. Premier enfant de l'officier de l'armée Carlo Alberto Pasolini et de Susanna Colussi, institutrice d'école de Casarsa della Delizia dans la région du Frioule, Pier Paolo Pasolini passe son enfance dans beaucoup de villes du Nord de l'Italie où se forgera sa passion pour les cultures dites locales qu'il défendra contre l'hégémonie de la culture du centre. « Quant à la poésie, j'ai commencé à sept ans. Mais je n'étais point précoce sinon en volonté. J'ai été un ‘'poète de sept ans'' - comme Rimbaud - mais dans la vie seulement ». En 1936, Pasolini revient avec sa famille à Bologne, où il va obtenir le baccalauréat et il commence ses études universitaires en lettres et philosophie. Il s'exerce à diverses techniques de peintre. Avec des amis, il crée en 1942 la revue littéraire Eredi (Héritages), et après, la revue Il setaccio (Le Tamis). Dans cette période, il lit Shakespeare et les œuvres poétiques de Pascoli et Leopardi jusqu'à Rimbaud et Attilio Bertolucci. 1943, les Pasolini résident à Casarsa à cause de la guerre. Sortent ses Vilote, forme de chansons et un essai sur la mort. Parallèlement, Pasolini fait des cours à Casarsa pour garçons et filles, qui, à cause de la guerre, ne fréquentent pas régulièrement l'école. Il part pour son service militaire pour une semaine qui se termine par l'armistice entre l'Italie et les alliés. Pasolini s'enfuit à pied vers Casarsa. En février 1944, intervient un drame fondateur : son frère Guido, engagé dans la division partisane Osoppo, est tué à Porzûs par des partisans titoistes. Les liens avec sa mère et entre elle et le dialecte frioulane, son séjour à Casarsa pendant la guerre et ses expériences avec l'académie de la langue frioulane, le poussent à exprimer un délicat et fantastique monde poétique, témoigné par nombreux poèmes publiés sous le titre de Poesie a Casarsa (1941-1943). En 1947, à Casarsa, Pasolini s'inscrit au Parti communiste italien (Pci). Expérience qui aura un reflet sur les thèmes de ses œuvres. En 1947, Pasolini était aussi professeur dans une école à Valvasone. En 1949, après avoir été mis en examen pour soupçon de détournement de mineur, il est exclu du Pci et perd aussi son emploi de professeur. Pendant l'hiver du 1949, il quitte Casarsa avec sa mère pour un quartier pauvre à Rome. Pasolini travaille comme professeur d'école, correcteur d'épreuves et journaliste. Sa mère fait parfois des ménages et son père les rejoint en 1951. A Rome, il est fasciné par la vie du sous-prolétariat de la banlieue, et il réinvente le langage de ces gens dans le roman Ragazzi di vita, en 1955, et Une vie violente, en 1959. L'originalité stylistique et le langage de ces romans font connaître l'auteur aux cercles intellectuels, mais lui procurent aussi des ennuis judiciaires pour contenu présumé pornographique. En 1952, il réalise une anthologie de la poésie dialectale italienne du XXe siècle, et en 1955, il publie le Canzoniere italiano, recueil de chants populaires italiens avec une importante introduction sur les aspects linguistiques et sémantiques de ces chants. Entre-temps, il publie avec des proches une revue littéraire, Officina. En 1957 paraît Les cendres de Gramsci, un recueil de poèmes. Grand succès. Il écrit aussi, entre 1957 et 1961, onze scénarios pour le cinéma. Il collabore à l'écriture de dialogue avec Federico Fellini, en 1956, pour Les nuits de Cabiria. En 1960, il traduit en Italien l'Orestie d'Eschyle. En 1961, son premier film Accattone, est présenté à la biennale de Venise. Pourquoi passer de la littérature à la poésie ? « Il me fallait changer de technique : selon les variantes de l'obsession ». L'année suivante, Pasolini tourne Mamma Roma. La première représentation à la biennale de Venise est suivie d'une dénonciation pour « pornographie ». En 1963, il tourne La ricotta, film également dénoncé pour « outrage à la religion d'Etat ». Mais Pasolini enchaîne fictions et documentaires : La Rage, L'Evangile selon Saint Matthieu, Comizi d'amore, Uccellacci e uccellini. Pasolini, alité pour un mois par une maladie, en 1966, écrit six œuvres dramatiques pour le théâtre : Orgia, Porcherie (qui sera aussi un film, tourné en 1968-1969), etc. Toujours en 1966, il tourne La terre vue de la Lune, puis Oedipe roi et Oedipe à Colono de Sophocle. 1968, l'année de la contestation des étudiants et du mouvement ouvrier. Pasolini prend une position critique envers les étudiants déclarant que les agents de police sont les vrais « prolétaires », alors que les étudiants sont les fils de la bourgeoisie, donc instruments du pouvoir. Il se brouille avec la Gauche. La même année, Pasolini écrit pour Nuovi Argomenti un « manifeste pour un nouveau théâtre ». C'est l'année de tournage de Théorème, dénoncé pour « obscénité ». Un jeune homme venu de nul part s'installe chez une famille bourgeoise. Il fait l'amour aux membres de cette famille avant de disparaître à jamais. Chacun se découvre, « comme apôtre d'un Christ qui n'a pas subi la crucifixion, mais qui est perdu pour nous, chacun doit vivre le même destin. C'est un théorème : et chaque destin individuel en est le corollaire ». La fulgurante et « scandaleuse » carrière de celui que la Droite conservatrice insultait dans sa presse et même sur les murs de Rome se poursuit avec Médée, Décaméron, dénoncé par les moralistes, et Le mur de Sanâa, court métrage tourné au Yémen pour alerter l'Unesco sur l'urgence de préserver l'héritage culturel de ce pays. Le cinéaste brûle de mille feux, le poète aussi : il publie son dernier recueil en 1971, Trasumanar e organizzar, et on citera la publication en 1961 de La religion de mon temps et de Poésie en forme de rose en 1964. « Monstrueux est l'homme né des entrailles d'une femme morte. Et moi, fœtus adulte, plus moderne que tous les modernes, je rôde en quête de frères qui ne son plus » (Poesia in forma di rosa). En 1973, pour le journal Corriere della serra, Pasolini commence à rédiger des articles rassemblés en 1975 sous le titre Ecrits corsaires : acerbe critique de la société italienne, de ses mœurs morales et politiques, de la papauté et de la gauche, de l'hégémonie culturelle et même linguistique du centre romain. « On m'a dit que j'ai trois idoles : le Christ, Marx et Freud. Ce ne sont que des formules. En fait, ma seule idole est la réalité ». La même année, sort sur les écrans Salò ou les 120 Journées de Sodome. Une plongée violente et onirique dans le sadisme et le fascisme de l'Italie de la Seconde Guerre mondiale. Pétrole, son roman inachevé sera publié en 1992 par l'éditeur Einaudi. Dans la nuit du 2 novembre 1975, Pasolini, que peu de gens respectables à Rome supportaient son existence, est battu à mort. La police arrête un jeune de 17 ans, Pino Pelosi, qui sera inculpé, condamné et libéré en 1983. Le dossier de l'enquête sera clos sans aller au bout des premières déclarations de Pelosi qui évoqua pour la participation de « tiers inconnus ». Il y a quelques mois, Pelosi se rétracte en direct sur la télévision italienne et parle de la participation de trois individus à l'assassinat. La thèse d'un crime crapuleux commandité par les milieux de la mafia et de l'extrême-droite refait surface. Mais l'affaire est retombée après avoir découvert que la RAI avait payé quelque 6500 euros pour le témoignage de Pelosi. « Irrésolu, le meurtre de Pasolini s'ajoute à la masse des mystères italiens qui ne se dissiperont que le jour où cessera d'exister la raison d'Etat », avait conclu le cinéaste de Nos meilleures années, Marco Tullio Giordana, dans son livre-enquête, Pasolini, mort d'un poète, publié en 1994.

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