Des mesures urgentes peuvent être prises pour réparer quelques inégalités en matière d'héritage. Il ne s'agit pas de se mettre en contradiction avec la religion, mais de se conformer à des principes édictés par l'Islam et qui ont permis à nos voisins de s'adapter à la réalité socioéconomique. Un débat assez intéressant sur la question de l'héritage, jusque-là restée taboue dans notre société, a eu lieu hier au siège de l'Institut national de la santé publique (INSP) à Alger. Organisée par le Centre d'information et de documentation sur les droits des enfants et des femmes (Ciddef), la rencontre a regroupé juristes, universitaires, représentants du mouvement associatif et de simples militants de partis politiques et des droits de l'homme autour de la même préoccupation. Celle de rendre le partage de l'héritage plus équitable et en conformité avec l'évolution de la société. L'idée est d'exploiter les pistes de réflexion utilisées ailleurs, notamment chez nos voisins, pour réduire au maximum les inégalités en la matière et éviter les drames auxquels sont confrontées les familles algériennes, surtout les femmes. Le statut successoral Dans son exposé du plaidoyer pour une égalité de statut successoral entre les hommes et les femmes, Mme Nadia Aït Zaï, directrice du Ciddef, explique que l'histoire de l'Algérie démontre que la pratique du droit musulman qui permettait son adaptation a été figée pendant la colonisation sous forme de code, reconduite à l'indépendance et consacrée dans le code de la famille en 1984. Cependant, rappelle-t-elle, il est temps de revoir cette loi, «en nous basant sur les principes énoncés par certains penseurs de l'Islam pour la faire évoluer et l'adapter à la réalité sociale du pays». Elle cite au passage trois grands principes sur lesquels se sont basées certaines écoles pour faire évoluer le droit musulman, comme la «maslaha», c'est-à-dire l'utilité publique, la «dharoura», la nécessité qui peut rendre licite l'interdit, et enfin les «makassid» ou les finalités de la loi. «Ces trois grands principes peuvent faire évoluer les lois en matière d'héritage, pour peu que la société y soit préparée», dit-elle. Les aspirations de la société algérienne Elle précise cependant que, dans «sa majorité», la société algérienne aspire à une égalité en matière de partage de l'héritage. «Les Algériens utilisent déjà de leur vivant des procédés légaux (donations, vente, etc.) qui leur permettent de s'en rapprocher (…) A l'exception du code de la famille, les lois algériennes consacrent ce principe, notamment à travers la législation relative à la sécurité sociale qui prévoit le versement de la pension, et de la retraite à parts égales entre les filles et les garçons, et entre les enfants naturels et ceux recueillis», ajoute-t-elle. Les études les plus récentes, dit-elle, révèlent ce désir d'aller vers davantage d'égalité. «Les résultats du sondage réalisé en 2008 par le Ciddef confortent cette tendance, puisque 6 adolescents sur 10 et 5 adultes sur 10 sont favorables au partage égalitaire du legs familial». Pour elle, les profonds bouleversements qu'a connus la société algérienne appellent à des changements urgents. «La technique existe et n'est pas en contradiction avec les grands principes de l'Islam. Grâce à la participation des universitaires, professionnels du droit, oulémas algériens, sociologues, etc., nous pouvons imposer des mesures urgentes pour réparer certaines injustices, comme par exemple, faire en sorte que les petits-enfants de la fille prédécédée héritent au même titre que ceux des hommes prédécédés, rendre les frais notariaux en matière de donation moins coûteux, et faire en sorte que la partie prise par les cousins éloignés revienne à l'héritière, qui n'a pas de frère, et que lorsque la femme est unique héritière, le Trésor public ne lui prenne pas les 50%. Le combat sera difficile et long, mais il est possible d'arriver à un changement en impliquant tout le monde. Nous n'en sommes qu'au début du plaidoyer, qui mérite d'être enrichi avec la contribution de tous», déclare Mme Aït Zaï. Même s'il n'a pas tranché entre la nécessité d'abroger l'article 2 de la Constitution qui impose l'Islam comme religion de l'Etat ou maintenir les aspects positifs de la religion tout en réadaptant ceux considérés comme inégalitaires, le débat met en exergue la nécessité de mettre la législation en conformité avec les aspirations de la société. Pour Me Fetta Sadat, secrétaire nationale du RCD, chargée des droits de l'homme, l'article 2 de la Constitution «est la base des inégalités puisque l'article 222 du code de la famille stipule qu'en absence de textes, le juge peut se référer à la charia. La même disposition est contenue dans l'article 1, alinéa 2 du code civil». Représentante du Fonds des Nations unies pour les femmes (Unifem), Mme Imane Hayef trouve que le débat n'est pas propre à l'Algérie, mais également à de nombreux autres pays musulmans, y compris l'Arabie Saoudite. Selon elle, les sociétés bougent et les idées n'attendent qu'à être entérinées par des lois. Elle rappelle qu'avant 1984, «les femmes témoignaient au même titre que les hommes. Il a suffi d'une circulaire du ministère de la Justice pour que le témoignage d'un homme soit compté double de celui d'une femme». Des propos qui font réagir Mme Aït Zaï : «Durant la période où j'ai été adjointe au maire, entre 1979 et 1984, j'ai marié des couples qui venaient avec deux témoins sans distinction de sexe et sans tuteur pour la femme.» Soumiya Salhi, de l'Association pour l'émancipation de la femme, rappelle les pressions subies au sein de la Commission des femmes travailleuses de l'UGTA du fait de la campagne lancée contre le harcèlement sexuel : «Après nous avons fini par avoir gain de cause. Il n'y a qu'à voir le nombre de couples vivant la peur au ventre parce qu'ils n'ont que des filles. L'idée qu'elles soient déshéritées par un arrière cousin, les hante.» Mme Fatma-Zohra Mebtouche est revenue sur l'exhérédation des femmes en Kabylie, «une pratique utilisée un peu partout» en Algérie par des Kabyles. Abondant dans le même sens, Mme Ouardia Labsari souhaite que la lumière soit faite sur le travail des cabinets notariaux qui, selon elle, aident les maris, les frères, les cousins, les pères, etc., à exclure les femmes de l'héritage en Kabylie. «Même les droits minimes énoncés par le code de la famille ne sont pas respectés. Faites une enquête sur la prise en charge des personnes âgées et vous verrez que l'écrasante majorité de ceux qui s'occupent des parents sont les filles, et pourtant leurs frères reçoivent le double de leur héritage», dit-elle. Mme Fatma-Zohra Mansouri, ancienne députée, fait état du cas d'une fille unique qui a vu son héritage partagé avec le Trésor public parce qu'elle ne peut prendre la totalité, selon les notaires. Autant de réalités amères qui imposent la révision de la législation et son adaptation au contexte socio-économique.