Le président autoproclamé de Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, ne paraît pas du tout impressionné par les menaces proférées à son encontre autant par Washington que par l'Union européenne. Il semble même décidé à aller à la confrontation. Dans un discours prononcé mardi soir, M. Gbagbo a clairement fait entendre qu'il ne quittera pas le pouvoir et qu'il n'est pas seul dans son combat. «Je suis le président de la République de Côte d'Ivoire. Je ne veux pas que le sang d'un seul Ivoirien soit versé. Je ne veux pas d'une guerre en Côte d'Ivoire qui peut s'étendre aux pays voisins ou les affaiblir», a-t-il déclaré dans son premier discours depuis son investiture le 4 décembre diffusé sur la radio-télévision d'Etat RTI. Gbagbo a souligné également qu'il n'entendait pas revenir sur son exigence de voir quitter le pays la mission de l'ONU, l'Onuci, dont le mandat a été prolongé de six mois par le Conseil de sécurité, ainsi que la force française Licorne. Dans le même ordre d'idées, son camp n'a pas hésité aussi à tourner au ridicule la diplomatie occidentale et à qualifier d'«amusante» les pressions de l'UE et de Washington. Le département d'Etat a, rappelle-t-on, interdit au président sortant, ainsi qu'à plusieurs dizaines de ses proches, de se rendre aux Etats-Unis. Bruxelles lui a infligé la même sanction, ainsi qu'à ses deux épouses et 16 autres proches. Pour éviter, sans doute, de donner l'image d'un homme opposé au dialogue, M. Gbagbo s'est néanmoins montré prêt à «discuter» avec son rival Alassane Ouattara et la communauté internationale pour sortir d'une crise. «Je tends la main du dialogue. Je tends la main à l'opposition, à M. Ouattara et à la rébellion armée (Forces nouvelles, FN) qui le soutient», a-t-il lancé avant de les exhorter à quitter l'hôtel du Golf d'Abidjan qui leur sert de quartier général, pour regagner leur domicile. Laurent Gbagbo s'est également dit disposé à «accueillir un comité d'évaluation sur la crise post-électorale qui aura pour mission d'analyser objectivement les faits et le processus électoral, pour un règlement pacifique de la crise». Ce comité serait «dirigé par un représentant de l'Union africaine» et comprendrait des représentants de l'ONU, de la Cédéao, des Etats-Unis, de l'UE, de la Russie, de la Ligue arabe et de la Chine ainsi que «des Ivoiriens de bonne volonté». Dans son intervention, Laurent Gbagbo — qui bénéficie d'un soutien franc de Moscou et de Pekin — ne s'est toutefois pas empêché d'accuser le camp Ouattara et ses nombreux soutiens extérieurs de lui «faire la guerre». Et ainsi qu'il fallait s'y attendre, le camp de l'ancien directeur général adjoint du FMI a opposé aussitôt une fin de non-recevoir à son offre de dialogue, jugeant que le président sortant «continue de ruser avec le monde». Pour montrer qu'il n'entendait pas céder, le gouvernement Ouattara, dirigé par Guillaume Soro, le chef des FN, a appelé le peuple à «la désobéissance» au gouvernement «factice» de Gbagbo. Sur le terrain, la situation reste très préoccupante même si les violences se sont arrêtées. Le camp de Gbagbo donne l'impression toutefois de ne pas vouloir envenimer la situation. En signe de détente avant Noël, les FDS (Forces de défense et de sécurité) ont annoncé la levée du couvre-feu nocturne instauré à la veille du scrutin. Par ailleurs, Gbagbo a assuré mardi qu'il entendait obtenir le départ de l'Onuci et de Licorne (900 soldats français) «par voie diplomatique» et demandé aux jeunes de «rester calmes». La Banque mondiale coupe les vivres à Abidjan Il est à rappeler que les violences depuis la marche de jeudi à Abidjan sur la RTI, appelée par les partisans de Ouattara et réprimée par les FDS, ont fait au moins 50 morts, selon l'ONU (25 dont 14 dans les rangs FDS d'après le camp Gbagbo, 48 selon les pro-Ouattara). Mais pour parer toute éventualité, les gouvernements français et allemand ont recommandé hier à leurs ressortissants de quitter «provisoirement la Côte d'Ivoire». Au plan diplomatique, la Cédéao a annoncé la tenue, demain, d'un sommet extraordinaire sur la situation en Côte d'Ivoire, à Abuja. Lors d'un précédent sommet début décembre, elle avait suspendu le pays et demandé à Gbagbo de partir. D'un autre côté, les pressions internationales sur Laurent Gbagbo et ses proches s'accentuent. Le président de la BM, Robert Zoellick, a affirmé hier que les financements de la Côte d'Ivoire par la Banque mondiale ont été gelés. «J'ai aussi discuté avec le président malien de la nécessité pour les banques centrales, avec l'Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine) de geler également les prêts, ce qu'ils ont fait», a-t-il ajouté. Amadou Toumani Touré est le président de l'Uemoa. «Ils ont également convenu d'une réunion de ministres cette semaine afin de renforcer ces mesures», a aussi affirmé Robert Zoellick. L'Union européenne a, de son côté, entériné des sanctions contre le président ivoirien et 18 membres de son entourage et envisage d'élargir prochainement la liste, selon des sources diplomatiques. Ces mesures devraient être suivies prochainement de gel des avoirs des personnes visées. Mais il est peu probable que cette perspective soit de nature à inquiéter Laurent Gbagbo et son camp qui en ont déjà vu d'autres par le passé. Des spécialistes de l'Afrique de l'Ouest assurent qu'il en faut bien plus pour le convaincre de quitter le pouvoir.