Jusque-là, on ne pouvait concevoir que dans la ville des Ponts, des êtres humains puissent continuer de vivre, avec leurs enfants, dans des conditions aussi indécentes. Nous ne nous attendions pas à découvrir l'enfer, en visitant les taudis de Zerzara. A l'aube de 2011, des êtres humains vivent encore dans des conditions scandaleuses, comme dans un camp de concentration, presque à l'insu de tous. Derrière la clôture moitié en béton et moitié barres de fer, entourant la résidence universitaire Mahmoud Mentouri, sont érigés d'infâmes bouges. Ils gravitent autour d'une ancienne ferme coloniale en ruine. Les résidents des 12 pavillons l'appellent, par dérision, le treizième pavillon. Pour y accéder, il faut traverser, presque en catimini, le grand terrain de sport attenant à la résidence, et se faufiler ensuite entre deux tiges de clôture. Là vous attend une vraie patinoire vaseuse, accrue par une pluie fine, glaciale et tenace. Vous devez dépenser des trésors de précautions et de courage pour continuer la descente, sur un terrain escarpé, dangereux, et rendu glissant par la bourbe. En dépit d'un froid cinglant, les narines sont rapidement happées par la pestilence émanant des égouts à ciel ouvert, la fange et les ordures. Là grouillent 170 personnes issues des premières 45 familles qui s'étaient implantées sur les lieux en 1952. Leurs pères travaillaient chez le colon fermier. Les familles se sont agrandies depuis, les enfants ayant fondé leurs propres foyers de fortune sur place. Ils occupent d'infâmes masures en tourbe, parfois en parpaing, couverts de plaques en tôle. Les déchets les plus hétéroclites sont récupérés. Planches pourries, morceaux de carton, plastique, journaux: tout est bon pour colmater les trous et les fissures. Un enchevêtrement surréaliste de fils électriques pendouille d'un taudis à l'autre. Au milieu se trouve un bassin immonde, qui servait jadis d'abreuvoir aux bestiaux, plein de déchets et de vase, dans lequel coule à grand-peine un filet d'eau nauséabonde. Un enfant de 4 ans en a d'ailleurs fait les frais. Il vient de faire un séjour à l'hôpital. «C'est une eau qui provoque des maladies, on nous a dit qu'elle est pleine de soufre; les services sanitaires ont promis de l'analyser, et ils n'ont rien fait. Nous la buvons tout de même quand nous ne pouvons pas aller en chercher à la résidence universitaire », nous dit Fatima-Zohra, une habitante de ce bidonville qui ne dit pas son nom. «En 2010 nous subsistons comme des rats», ajoute-t-elle. Des familles végètent dans la désolation Par mauvais temps, ils ne dorment pas, appréhendant des inondations, comme cela a été le cas en 1992 et 2001, où des gourbis s'étaient effondrés par une nuit cauchemardesque. La plupart d'entre eux souffrent de rhumatisme, d'asthme, d'allergies, de gale, et autres maladies de la peau, sans parler de la déprime des adolescents. «Nos enfants sont de vrais martyrs», martèle une autre habitante, qui poursuit: «Ils sont quasiment tous en déperdition scolaire; comment voulez-vous qu'ils aient de bons résultats s'ils doivent faire 3 km pour arriver à leurs école et collège à Djenane Zitoune ? Aucun de ces établissements n'a de cantine scolaire. Ils ne mangent rien, car ils n'ont pas le temps de revenir ; le soir ils sont crevés. Un enfant de 6 ans affrontant seul l'autoroute, et à 7h du matin, est-ce normal ?» Les rats, les serpents, les chiens errants, les insectes les plus étranges, sont leurs colocataires. Les égouts des chantiers, comme Pizzarotti, se déversent chez eux; des citoyens indélicats, n'ayant aucune considération pour leurs semblables, enfoncent le clou en déposant près d'eux, et de nuit, les gravats provenant de leurs villas en construction. Dans un des gourbis visités, une femme, sexagénaire, est allongée sur un grabat, la jambe dans le plâtre. Le pan d'un mur est tombé sur sa jambe, suite aux chutes de neige récentes, nous fait-on savoir. Toutes leurs doléances sont restées vaines. «En 2007, l'ex-wali de Constantine, à travers les ondes de Radio Cirta, nous avait fait la promesse solennelle de faire rapidement quelque chose pour nous, et il a manqué à sa parole», dénoncent encore ces habitants. Plus personne ne semble se rappeler des occupants de ce petit bidonville, qui est pourtant la véritable plaie de Constantine.