Le ministre du Commerce ne sait plus sur quel pied danser. Il vient de coller à Cevital le reproche d'avoir trop baissé les prix du sucre et de l'huile de table. C'est le monde à l'envers ! Ce sont les mêmes personnes qui reprochaient, hier, à cet industriel d'avoir augmenté les prix qui l'accusent aujourd'hui de les avoir trop baissés. Y a-t-il une science capable de démystifier cette équation ? Alors qu'il était question de plafonner les prix à la consommation de ces deux produits à 90 DA le kilo de sucre et à 600 DA le bidon d'huile, le ministère du Commerce, agissant sous l'éperon de certains producteurs, semble décidé de revoir la codification linguistique du communiqué sanctionnant une réunion de Mustapha Benbada avec les producteurs de sucre et d'huile. C'est-à-dire qu'il n'est plus question aujourd'hui de plafonner les prix, mais plutôt de les fixer à 90 DA le kilo de sucre et à 600 DA le bidon d'huile. Dans une économie qui fonctionne suivant un rythme normal, la concurrence a pour enjeu de tirer les prix vers le bas. Au lendemain d'une émeute impliquant parfois des bambins dépassés par les enjeux de la mercuriale, une machine s'est mise en branle pour évincer la chose politique et réduire la colère à une simple envolée des prix de l'huile et du sucre. Hier, le secrétaire général du FLN, Abdelaziz Belkhadem, a appelé à casser le monopole sur le sucre et l'huile : «Il faut casser le monopole sur les deux produits et réguler le marché. Ce n'est pas normal que cinq importateurs contrôlent le marché du sucre en Algérie», a-t-il déclaré lors de son passage sur la Chaîne I de la Radio nationale. Mais y a-t-il concrètement exercice de monopole sur un marché composé de neuf opérateurs (La Belle, Sorasucre, Ouest Import, Prolipos, Cevital, Afia, Cogral, Safia et Zinor) ? Cevital jouit-il d'un privilège exclusif de fabriquer, de vendre et/ou de distribuer le sucre et l'huile sur le marché national ? Bien avant Abdelaziz Belkhadem, la patronne du Parti des travailleurs (PT) avait qualifié les «récentes hausses des prix de certains produits» de «provocations», voire de «hausses criminelles». D'autres voix se sont élevées, hier aussi, venant notamment de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) et du PT, afin de «dénoncer les actes de spéculation engendrant l'augmentation des prix des produits de large consommation ayant provoqué les récentes émeutes des jeunes». Dans une déclaration commune, le syndicat et la formation de Louisa Hanoune ont considéré cette «spéculation provocatrice» comme une «atteinte frontale» à «l'effort national pour l'amélioration des conditions de vie et du bien-être social de la population et à la reconstruction nationale». D'autres médias, pour incompétence professionnelle ou haine déclarée, se sont également rangés sur l'avis de cette frange qui se refuse toute interprétation politique du message des jeunes courroucés. Pour certains journaux, le bouc émissaire était déjà tout désigné pour le charger des iniquités et des impairs économiques du gouvernement. Et pendant que ces politiques s'affairent à casser du sucre sur le dos de Cevital, une réunion interministérielle s'achève sur un véritable coup de théâtre. Le même industriel vient d'être épinglé à nouveau pour avoir imposé les règles de transparence à ses distributeurs en exigeant la facturation des transactions et l'authentification de leurs registres du commerce. Pour les ministres qui se sont réunis en catastrophe sous l'influence de la rue, ces procédures «imposées par certains pour l'approvisionnement des grossistes en sucre et en huile alimentaire, sont des mesures injustifiées qui, de surcroît, relèvent du domaine de compétence de la puissance publique». Manifestement, les règles économiques sont plus que jamais inversées au profit des agents de l'informel et des importateurs. Cette séquence rappelle les premiers vieux slogans du FIS dissous : détaxation des grossistes et des commerçants en application des principes de la charia. Le gouvernement s'embrouille désormais dans des solutions antiéconomiques préjudiciables. Pour un Exécutif incapable de réguler le marché de la patate, ce serait trop demander que d'éradiquer demain les 700 sites de commerce informel recensés à travers le pays.