Pleurs, larmes, sanglots, cris de colère et témoignages des mères des disparus. Elles étaient une vingtaine parmi les miliers de familles qui ont perdu un ou plusieurs de leurs membres. Indomptables. Présentes hier à la conférence de presse animée conjointement par le Collectif des familles des disparus et SOS Disparus, à Alger, ces mères en ont gros sur le cœur. Déchirées par la longue attente, désespérées de retrouver un jour le sourire perdu avec la disparition de leur progéniture, elles bravent les autorités et racontent les conditions dans lesquelles leurs enfants ont disparu. Pour elles, ce sont les services de sécurité qui les ont pris. « J'ai le nom de la personne qui a enlevé mon fils. Un capitaine qui s'appelle Ghobrini », lâche une dame, le visage creusé, la soixantaine dépassée, avant de renchérir : « La plupart des familles détiennent des noms, des preuves palpables. Je sais que mon fils est à Blida, dans un sous-sol de six mètres, à l'intérieur de la caserne Antar. Des gens, des militants, l'ont vu et m'ont rassuré qu'il est toujours en vie. Je veux le voir. » « La vérité, rien que la vérité », tel est le vœu de celle-ci et le souhait d'une autre. Leur détresse est si profonde qu'on ne peut pas les calmer avec de l'argent qu'elles refusent. « Ils nous ont proposé 700 000 DA d'indemnité contre l'oubli, puis 100 000 DA. Le président Bouteflika est intervenu pour les ramener à 1 400 000 DA, voire même à 5 000 000 DA. C'est absurde. Nous refusons la vente aux enchères. Ce sont des êtres humains », s'insurge Mme Boucherf, vice-présidente de SOS Disparus. Selon elle, la démarche entreprise par le mécanisme ad hoc de Farouk Ksentini installé depuis neuf mois par le président Bouteflika pour « assainir » ce dossier a suscité l'ire des familles, manifestant leur « inquiétude ». « On leur a demandé d'utiliser l'ADN. Ils ont refusé, arguant que nous sommes la deuxième catégorie des disparus et que l'ADN coûte cher. Donc, il est réservé pour les victimes du terrorisme », ajoute-t-elle. Camps secrets « Nous n'allons pas nous taire. Il y a 600 personnes qui sont dans des camps secrets à Blida. Elles sont vivantes. Nous le savons », lance une septuagénaire, d'un air coléreux. Et d'enchaîner : « Qu'ils gardent leur argent. Je n'en ai pas besoin. » De son côté, Nassera Dutour, présidente du Collectif des familles des disparus, dénonce « la volonté cachée » des autorités de clore le dossier. « On veut classer le dossier parce qu'il salit l'image de l'Algérie. Ainsi, nous allons continuer à nous battre et à salir cette image », clame-t-elle, précisant que « ce n'est pas tout le peuple algérien qui est corrompu », en guise de réponse à l'offre de M. Ksentini. Selon elle, l'affaire des disparus est « nationale. C'est une sale guerre qui a touché tous les Algériens ». Cette tragédie, selon Me Zahouane, ne peut pas être réglée seulement par un « appel à l'oubli ». Elle demande une démarche transparente et des enquêtes indépendantes. « C'est une vaste opération de recherche de la vérité. Les familles sont dans un climat de détresse depuis des années. Elles sont au bord de l'épuisement », dit-il. Me Zahouane estime qu'il est du devoir de l'Etat de porter assistance à ces familles, mais non pas comme étant un moyen de chantage et de pression sur elles. Il considère que cette campagne d'indemnisation déclenchée par Farouk Ksentini, « appelant les familles à se soumettre au renoncement, est une nouvelle agression. C'est le poignard dans la plaie de tous les gens qui sont touchés par ce drame ». C'est ainsi qu'il appelle le président de la commission ad hoc à réviser cette démarche car, pour lui, il y a dans ce plan « une immoralité de l'Etat ». Une telle démarche, si elle venait à être menée jusqu'au bout, va « aggraver le problème », souligne-t-il encore, en se référant au cas argentin. Selon les familles, des informations leur sont parvenues sur l'existence de camps secrets, notamment à Reggane (Tamanrasset) et Oued Namous (Béchar). Ils disent également avoir en leur possession des listes des personnes qui ont enlevé leurs fils. « Pourquoi ne veulent-ils pas que nous confrontons ces présumés auteurs des disparitions ? De quoi a-t-on peur ? », s'interroge Mme Dutour. Enfin, les animateurs de la conférence prévoient une batterie d'actions à mener dans les prochains jours. « Nous allons solliciter les ONG et les ambassadeurs accrédités à Alger, comme nous préparons une marche nationale en septembre à Alger », a indiqué Mme Dutour.