Selon les deux associations, la commission ad hoc propose des indemnités allant de 100 à 500 millions de centimes. «Qu'attendez-vous du gouvernement? Qu'il me rende mon fils. Et puis? Qu'il me rende mon fils. Supposons que votre fils soit mort, que demanderiez-vous en contrepartie à l'Etat? Qu'il me rende mon fils et vivant comme il l'avait enlevé.» Drapée dans l'emblème rouge, vert et blanc, des disparus, Nacera Dutour raconte, toute émue, son entrevue avec un responsable de la commission ad hoc. Convoquée au siège de la Cncppdh à Alger, pour percevoir l'indemnité que l'instance, dirigée par Farouk Ksentini, propose, depuis plus d'un mois, au profit des proches de victimes, la présidente du collectif des familles des disparus (Cfda) n'a pu retenir sa colère. D'autres femmes, présentes à ses côtés, n'en finissent pas de pleurer. Dans la modeste demeure, située au bas d'une paisible venelle non loin de la rue Didouche-Mourad à Alger, où, une fois dedans, vous sautent aux yeux les portraits d'une centaine de personnes disparues, placardés sur les quatre murs, les responsables de SOS disparus et du Cfda s'agitent dans un vacarme ponctué de cris de colère et de sanglots... Ils se sont donné le mot avec la presse nationale pour dire, unanimement, leur «écoeurement» des indemnités dont le montant varie, selon les militants des deux associations, de 100 à 500 millions de centimes, que la commission ad hoc s'apprête à verser aux familles concernées. Mais s'ils ne se disent pas surpris par les desseins qui se profilent dans la démarche de Ksentini, la célérité avec laquelle sont convoqués les mères, soeurs et autres proches des disparus, environ 200 personnes par jour, selon les informations du Cfda au Palais du peuple (siège de la commission ad hoc) trahit l'empressement de l'Etat d'en finir avec une question qui fait, à ce jour, tache noire dans la tumultueuse histoire de l'Algérie. «Pas question», rétorquent, presque à la fois, les mères présentes en nombre, dans la salle étouffante du fait de la chaleur qui sévissait dès le début de la matinée. «Ce n'est ni plus ni moins une vente aux enchères de nos enfants», se désole Mme Boucherf, vice-présidente de SOS disparus, s'interrogeant sur le moment choisi par les pouvoirs publics pour octroyer les indemnités. Or, les mêmes familles se démènent, depuis plus de dix ans, dans une situation sociale très difficile, pour ne pas dire carrément misérable. «Si vraiment on s'intéressait à nous, il aurait fallu penser à verser ces aides bien avant», marmonne sur son siège une autre mère de famille. D'autres, pour étayer l'idée selon laquelle l'Etat est plus que jamais décidé à en découdre avec cette affaire, indiquent que les responsables de la commission, convoquent, à titre individuel, les épouses des disparus pour leur proposer l'indemnité. Alors qu'en théorie, se sont les mères des victimes qui sont seules habilitées à représenter leurs enfants. La présence en force d'avocats, de militants des droits de l'Homme, dont Me Zehouane, vice-président de la Laddh, mais aussi Me Boumerdassi, avocate des familles de disparus, a provoqué un brouhaha où l'on a eu droit à une pléthore de déclarations et de témoignages accablants à propos des centres de détention préventive, dans lesquels, affirment de nombreuses mères, seraient détenues de nombreuses personnes enlevées dans les années de la tragédie. Le témoignage d'une mère, détails à l'appui, à propos de l'enlèvement par les services de sécurité de son fils, a jeté un véritable pavé dans la mare. D'autres ont vilipendé, en termes on ne peut plus virulents, le discours officiel qui présente plusieurs disparus comme étant des terroristes ayant rejoint, dans le passé, les maquis. «C'est un viol pour la mémoire de nos enfants!», s'exclame une mère. Venu exprimer la solidarité de la Ligue algérienne de la défense des droits de l'Homme qu'il préside aux côtés d'Ali Yahia Abdenour, Me. Hocine Zehouane s'est lancé dans une véritable diatribe contre l'Etat qu'il accuse, sans ménagement aucun, de pays «indigne» qui se comporte par les méthodes les plus cruelles avec des Algériens. Pour que justice soit faite et faire, par voie de conséquence, la lumière sur les 15.000 disparus recensés par la Laddh, il préconise de mettre sur pied une commission d'enquête composée de personnalités à la notoriété morale confirmée. «C'est le seul moyen à même de mener un travail d'investigation dans la transparence», pense l'avocat qui appelle, sur ce sujet, les juristes, journalistes, hommes politiques, représentants de la société civile... à faire bloc uni pour trouver, eux aussi, un instrument fiable pour faire la lumière sur le sort des disparus. Aux familles qui vivent dans des conditions socio-économiques difficiles, le militant des droits de l'Homme appelle, en effet, le gouvernement pour que ces familles soient prises en charge à travers notamment des aides financières. «Pour peu que ces indemnités n'obéissent pas, comme c'est le cas actuellement, à des desseins politiques», a-t-il mis en garde. Sur un ton mobilisateur, les familles affiliées aux associations ont décidé, dès le début du mois de septembre, d'organiser une campagne aussi bien au niveau national qu'à l'étranger pour faire barrage à l'intention du gouvernement de clore, définitivement, le dossier des disparus. Une marche qui regroupera l'ensemble des familles des victimes est, dans ce cadre, prévue. «Car nous sommes décidés à aller jusqu'au bout de nos revendications», promet Mme Dutour. «Nous n'allons pas baisser les bras», a-t-elle affirmé comme pour mettre au défi les pouvoirs publics.