Le soleil caresse de ses doux rayons matinaux la ville de Naciria, dont les habitants, comme excités, sont de plus en plus nombreux à sortir dans la rue en cette matinée d'un vendredi pas comme les autres. Deux leaders politiques, à la tête de deux partis, à forte représentation dans la région, et engagés dans les joutes électorales du 24 novembre, sont attendus sur la place centrale de la ville. L'« agora » de Laâzib - ou Naciria - commence dès 9 h à se remplir d'hommes de tout âge, soudain regagnés par un vif intérêt pour la chose politique. Et les militants du FFS et du RCD sont déjà-là à mettre les dernières retouches pour le décor des coins qui vont accueillir Saïd Sadi et Ali Laskri. La scène est saisissante et redonne espoir à tous ceux qui, à un moment, ont réellement cru que la tolérance et le respect de l'autre ont définitivement cédé place à la confrontation : les deux camps des frères ennemis sont à une centaine de mètres l'un de l'autre. De ces deux dernier s'élève la voix rebelle du regretté Matoub Lounès, chantant sa patrie, l'identité, la démocratie. Les discussions s'animent autour du sujet de l'heure- les élections touchant à la gouvernance locale, les libertés, les problèmes de la commune, les assassinats des événements de Kabylie, le terrorisme. Bref, des discussions à bâtons rompus sur tout ce qui se rapporte au quotidien de l'Algérien. Quand le premier secrétaire national du FFS arrive sur les lieux, on avait touché presque à toutes les questions possibles. Va-t-il apporter les réponses escomptées ? En effet, on a déjà soulevé les problèmes des routes, dont la plupart « sont impraticables ». « A Taâzibt, Iouaryachène, Ihamadène, Naït Slimane, Imaghninène, Ihssamen, Ouled Moussa, Chender, Takirouent, Imendassen... tous ces villages souffrent d'une sorte d'isolement dû à l'état des routes qui les lient au chef-lieu de la commune. La route menant à Ihamadène n'a pas été refaite depuis 1982 », nous dit-on à la permanence du FFS, jurant par tous les dieux que « si nous sommes élus nous ferons le maximum pour soulager les souffrances de nos concitoyens ». Avant que Laskri ne prenne la parole, un jeune militant tonne à l'adresse de la foule compacte qui s'est formée devant le siège du parti. « Les problèmes sont innombrables et nous n'avons qu'une solution : les bagages intellectuels nécessaires pour déloger ces ogres qui ont confisqué nos libertés depuis 1962. Envoyez nos enfants à l'école et aidez-les à s'instruire. Parce que à Laâzib, l'échec scolaire est inquiétant ; la déperdition a atteint un taux alarmant et cela ne fait qu'agrandir les listes des chômeurs et des délinquants. Il n' y a pas très longtemps on ne connaissait pas ici ce que c'était la drogue, maintenant les différents stupéfiants sont monnaie courante. C'est une catastrophe », nous expliquera plus tard un citoyen de la région. Un autre nous donnera l'exemple quelque peu soulagé par le fait que Sadi se montre informé de toutes les difficulté qu'ils vivent. Les citoyens de Laâzib applaudissent les diatribes du chef du RCD contre « ceux qui sont prêts à sucer le sang des pauvres ». Lorsque Saïd Sadi parle de l'existence de possibilité de partenariat avec des gouvernements et des organisations occidentales pour le développement des zones rurales dans tout le Maghreb, des regards s'échangent parmi l'assistance chargés d'une expression de dépit envers ces élus, ou tout autre responsable, qui laissent filer des opportunités de sortie du tunnel. Mais, cette coopération est soumise à une condition, explique le leader du RCD : « Pour débloquer l'argent, les Etats de l'Europe exigent de travailler avec des assemblées faites d'une majorité solide et qui ne sont pas inféodées au pouvoir. Ils ne veulent plus travailler avec un régime centralisé. Cependant, nombreux sont les habitants de Naciria qui réclament du concret de la part des élus ». Promesses électorales Nous sommes habitués à ces promesses électorales qui finissent dans les oubliettes une fois la course terminée. Nous sommes une dizaine de familles résidant dans des terrains domaniaux depuis 1958. Aujourd'hui, l'Etat refuse de nous octroyer des aides à titre de sinistrés de la maison de jeunes d'Iouariachène, à l'abandon depuis des années », pour parler de « l'exclusion que subissent les jeunes ». C'est pourquoi d'ailleurs, le FFS recommandera d'opter lors de ce vote pour « des militants engagés en mesure de déjouer les plans machiavéliques du pouvoir visant à mettre à genoux la Kabylie ». Et Laskri dresse un sévère réquisitoire contre « ce régime tyrannique ». A quelques minutes de la fin de son intervention, applaudi à chaque passage condamnant le pouvoir, le cortège accompagnant Saïd Sadi, qui rejoint à pied la permanence du parti, s'apprête à se frayer un chemin au milieu de la foule sur la route principale devant le local du FFS, beaucoup ont eu peur. Mais aucune provocation des deux camps. « Nous avons atteint un niveau de maturité appréciable, et il semble que les démocrates se rendent compte finalement que seule l'union peut faire la force », commente un militant du parti d'Aït Ahmed. Au RCD aussi, on se dit conscient des difficultés de la mission qui attend les prochains élus tant ils auront à gérer le lot de problèmes que vivent les citoyens au quotidien. Là, on nous parle aussi de routes, de la distribution de l'eau potable dont souffre la quasi-totalité des villageois. « A Aït Slimane Chender, Iouaryachène et d'autres villages, le réseau d'AEP existe, mais les robinets sont à sec depuis des lustres », nous diront des citoyens que nous avons rencontrés à Naciria « parce que nous n'avons pas de titre de propriété. Ils ont voulu nous faire emménager dans des chalets pour nous chasser de ces lieux. Et comme nous avons refusé, nous sommes écartés », nous a confié un habitant de la cité rurale. D'autres nous saisiront pour nous parler du manque de ramassage scolaire des élèves scolarisés en ville, au lieudit Tir, et d'un terrain de sport qui a été transformé en décharge publique, du club de la commune (CBN) qui a déclaré forfait par manque de moyens, de l'insuffisance de la couverture sanitaire et de la paralysie du mouvement associatif. Les deux meetings terminés, la place centrale de la ville s'est vite vidée, chaque citoyen préférant vaquer à ses occupations en attendant des jours meilleurs. Dans la foule qui se dispersait, on entend reprendre pêle-mêle les idées-clés des discours politiques, « la fraude, la surveillance, le vote massif, la réhabilitation du politique... »