Cela ne s'était pas vu depuis la marche des archs du 14 juin 2001 : Alger arborait hier le visage d'une ville sous «état de siège». Un état de siège cependant en bleu, comme l'uniforme de la police, tant était impressionnant le dispositif de sécurité déployé pour contrer la marche du RCD. Une image forte résume à elle seule, si besoin est, cette atmosphère particulièrement oppressante : le bureau de wilaya du RCD, rue Didouche Mourad, encerclé par une armada de forces antiémeute. Le docteur Saïd Sadi, les cadres et députés du parti ainsi qu'une foule de militants, de sympathisants et de journalistes étaient assiégés des heures durant dans les locaux du RCD et aux abords du siège algérois du parti par un important cordon de policiers antiémeute affichant casque, bouclier et matraque. Tout Alger, ses principales artères, ses bâtiments officiels, ses accès, ses venelles étaient sévèrement contrôlés par des dizaines de camions de police. Ainsi, à proximité du Palais du gouvernement, de la présidence de la République, de l'Assemblée populaire nationale (APN), de la Cour d'Alger et de nombreuses institutions, différents engins des services de sécurité ainsi que des camions de la Protection civile et des ambulances ont pris place dès les premières heures de la journée, tandis qu'un hélicoptère ne cessait de bourdonner dans le ciel. Un véritable climat de guerre régnait sur la capitale. Outre cet attirail, on pouvait remarquer un cordon de 4x4 Toyota de couleur noire, une vingtaine environ, déployé le long de la rue Didouche Mourad. Il s'agit d'éléments de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI), une unité d'élite de la police spécialisée dans la lutte contre le… crime organisé. Face à cette folle agitation policière, cette pancarte solitaire posée contre un mur : «El harga ouala houma. Vive la jeunesse algérienne !» (le feu plutôt que ces gens-là !). La pancarte était illustrée d'un dessin campant une flamme rongeant le corps d'un homme. Une allusion claire à la vague d'immolations qui embrase notre jeunesse. La rue Didouche Mourad était, on l'aura compris, le théâtre par excellence du bras de fer RCD-forces de l'ordre. Même décor sur la place du 1er Mai d'où devait s'ébranler la «Marche pour la dignité». La porte de l'hôpital Mustapha donnant sur le quartier Meissonnier était fermée au public. Un dispositif tout aussi important encercle les abords de l'Assemblée nationale, point de chute originel de la marche. La rue Asselah Hocine est carrément fermée à la circulation automobile. Même dispositif hermétique devant le port d'Alger. La gare routière de Tafourah est «tenue en respect» par des véhicules de police. La route Moutonnière connaît des bouchons inhabituels : les voitures entrant vers Alger sont passées au crible par des barrages de police. La gare routière du Caroubier connaît, elle aussi, un quadrillage sans précédent, une forte escouade de policiers déambulant ostensiblement dans le hall de la station de voyageurs. Des fourgons de police ont pris place aux arrivées de bus. Les cars en provenance de Tizi Ouzou et de Béjaïa semblent être leur hantise. D'ailleurs, aucun bus n'est rentré à la gare durant la demi-heure que nous avons passée sur les lieux. Selon le site TSA, des étudiants en provenance de Tizi Ouzou à bord de trois autobus ont été interceptés dans la nuit de samedi à dimanche à un barrage de police, à Bab Ezzouar. Si en temps normal, le trajet Tizi Ouzou-Alger est un véritable parcours du combattant en raison, notamment, du barrage «infernal» de Reghaïa, le contexte particulièrement tendu suscité par cette marche avortée a rendu autrement plus éprouvants les déplacements des personnes en provenance de Kabylie. Les cités universitaires et les stations ferroviaires étaient, signale-t-on, également sous forte surveillance policière ces dernières quarante-huit heures. Le déploiement exceptionnel des hommes du général Hamel, hier, n'a pas manqué de faire sourire : «Ce n'est plus la marche du RCD, décidément, c'est la marche de la police !», ironisait-on.