Avril 2009. Alors que le président sortant, Abdelaziz Bouteflika, est réélu à une majorité écrasante pour un troisième mandat, les Etats-Unis s'alarment, officieusement s'entend, de «l'usage de la fraude» lors du processus. La diplomatie US est ainsi plus que sceptique quant au déroulement «transparent» du scrutin. Et moins que tendre avec le système, dans les câbles diplomatiques rédigés par l'ambassade des Etats Unis à Alger. «A la surprise de personne, le président Bouteflika a été réélu pour un troisième mandat le 9 avril, au cours d'élections soigneusement chorégraphiées et scrupuleusement contrôlées, avec, à la clé, des résultats officiels que le principal chef d'opposition qualifie de 'brejnévienne'», peut-on lire dans un mémo daté du 13 avril 2009, publié samedi sur le site internet de WikiLeaks. Première couleuvre un peu trop grosse à avaler pour l'ambassadeur Pearce ? Le taux de participation, qui suscite plus de controverses que le résultat du scrutin en lui-même. «Deux heures seulement après la clôture, M. Zerhouni, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, a annoncé un taux de participation de 74,11%, revoyant légèrement à la hausse ces estimations le lendemain. La télévision d'Etat, l'ENTV, ainsi que le journal du régime El Moudjahid ont montré de nombreuses images des foules d'électeurs faisant la queue devant des bureaux de vote», est-il mentionné dans le document. Pourtant, des anecdotes relatives au déroulement du vote suggèrent que «les chiffres donnés par Zerhouni sont grandement exagérés». «Certains de nos employés locaux ont noté que les électeurs montrés par les médias progouvernementaux étaient habillés en tenues hivernales», rapporte le diplomate américain. Le hic ? «Le 9 avril, le temps était plutôt doux et ensoleillé», objecte-t-il. Ce qui fait penser à Pearce que les images utilisées viennent des archives de précédentes élections. Et ce dernier de produire d'autres témoignages de bureaux de vote vides et d'autres exemples d'abstention. «Le ministère de l'Intérieur n'a pas autorisé le staff de l'ambassade à observer le processus électoral. Toutefois, le personnel de l'ambassade a pu assister, officieusement, au déroulement de l'opération dans quelque 30 bureaux de la capitale», explique le diplomate. Et ils n'ont aperçu qu'une poignée d'électeurs y entrer, et ce, même durant les heures de «rush». Même le chef de la délégation de suivi de l'ONU a affirmé au diplomate qu'il était «tout à fait certain que les choses ne tournaient pas rond», car il a reçu «un nombre important de vagues allégations de fraude». «Contrôler le scrutin et étouffer les voix dissidentes» Mais le manque de détails précis quant à ces irrégularités fait qu'il était «impossible» pour la délégation de l'ONU de décrire avec certitude «le type de fraudes qui se sont produites, ainsi que la manière dont elles se sont déroulées», rapporte l'ambassadeur. Pourtant, ce dernier ne semble pas à court d'exemples sans équivoques, des témoignages «détaillés de manipulation». «L'une de nos employées a assisté à un coup de téléphone reçu par le responsable d'un bureau de vote. C'était un officiel du ministère de l'Intérieur qui lui ordonnait de gonfler le nombre de bulletins de vote déposés au cours de la journée. A la fermeture du bureau, la police du ministère de l'Intérieur a présenté au responsable un protocole de vote à signer. Dessus, étaient consignées des statistiques largement supérieures et des noms qu'il n'avait tout bonnement pas vus de la journée», est-il affirmé dans le câble. Mais d'autres «signes» ont bien démontré les efforts fournis par le gouvernement pour «gérer l'optique du processus» et étouffer les voix dissidentes. «Un agent de l'ambassade a vu un soldat en uniforme obliger un jeune homme à décoller une affiche appelant au boycott des murs du siège du FFS à Alger», relate l'ambassadeur, et ce, précise-t-il, avant même l'annonce officielle des résultats. «Le processus préélectoral et le scrutin en lui-même ont été géré par le pouvoir d'une manière telle qu'elle prouve une stratégie scrupuleusement orchestrée pour contrôler le déroulement du vote, et ce en utilisant des procédures et des réglementations des plus compliquées, mais qui maintiennent l'apparence extérieure de transparence», estime l'ambassade US à Alger. «L'Algérie est assise sur un volcan» Un protocole tellement alambiqué qu'il donne même le tournis aux observateurs diligentés par l'ONU. Le chef de la délégation, Abdool Rahman, a d'ailleurs résumé la situation en confiant : «Le cadre juridique algérien lui-même fournit la chambre pour la fraude.» Le dignitaire onusien s'insurge de moult entraves rencontrées et des pressions subies par la délégation lors de sa mission. Et celui-ci d'épingler «le non-accès des autres candidats que Bouteflika aux médias lourds durant leurs campagnes». De même, Abdool Rahman est dépité par l'absence de rôle accordé à la société civile dans la chose publique. «Il y a nécessité de faire des progrès en termes de liberté d'expression et de séparation entre l'administration et le gouvernement. Il est impératif de créer un réel dialogue entre les citoyens, la société civile et le gouvernement», ont recommandé les observateurs. Car, comme l'indique l'un des émissaires, «si les leaders peuvent être élus sans cet élément essentiel, alors nous devons nous inquiéter pour l'avenir ici». «Cinq ans ce n'est pas long. Il y a un réel besoin de dialogue, mais maintenant. Je ne vois pas d'alternative», aurait insisté un autre d'entre eux. Avis grandement partagé par l'ambassadeur Pearce. Car sans ce dialogue, le sort de 72% de la population âgée de moins de 30 ans, les «désillusionnés», reste obscur et, par la même, la stabilité du pays. «L'Algérie est assise sur un volcan», est-il prophétisé dans le câble.