Au début de son premier mandat, Abdelaziz Bouteflika proclamait dans tous les salons qu'il ne voulait pas être «un trois quart de président». Manière de suggérer qu'il n'était pas une marionnette aux mains des militaires algériens. Ce souci d'autonomie, plus spectaculaire que réel, ne faisait pas oublier que l'ancien ministre des Affaires étrangères du colonel Houari Boumediène a été «choisi» par les généraux pour être «candidat du consensus» à la présidentielle de 1999. A cette date, le général Liamine Zeroual, élu président de la République en 1995, avait décidé de partir après des différends avec ses pairs sur des choix politiques. Caution des militaires Aucun, dans l'entourage de Bouteflika, n'avait osé dire que celui qui allait s'installer au palais d'El Mouradia était «cautionné» par l'armée. Sinon comment aurait-il pu être Président «à part entière» ? Etait-il réellement élu, en 1999 ? A l'époque, n'étant pas totalement indépendant, il n'a pas suivi les six autres candidats qui se sont retirés de la course à la présidentielle. Ils avaient ouvertement dénoncé la fraude qui se préparait en sa faveur. Prenant tout le monde de haut, Bouteflika, huit mois après son installation au pouvoir, a eu cette phrase lors d'une intervention sur une chaîne de télévision française : «L'armée ? Moi je me sens d'abord son chef et, en plus, moi-même je viens de l'armée de Libération nationale. Vous savez, quand j'étais officier, beaucoup de généraux actuels n'étaient peut-être même pas dans l'armée.» Il n'était pas du tout troublé par sa légitimité politique largement entamée après le scrutin d'avril 1999. Bouteflika n'a rien fait pour convaincre qu'il était un président civil n'ayant de compte à rendre qu'à la population, pas aux militaires, pour aller dans le sens de la déclaration faite à TF1. A aucun moment il n'a renforcé la représentation nationale, le Parlement, pour que le pouvoir civil soit efficace, populaire. Il a complètement ignoré la presse et les intellectuels. Pour lui, ceux-là ne pesaient pas sur la scène publique. Implicitement, il reconnaissait qu'il n'avait à partager ses décisions qu'avec les généraux et qu'il n'était pas redevable à l'opinion nationale. En 2004, il avait essayé de rompre les amarres, préparant la révision constitutionnelle de 2008. «Les attributions du chef de l'Etat s'exercent dans le cadre de la Constitution et non selon les rumeurs et les surenchères propagées par ceux que dérangent les progrès que réalise le pays dans tous les domaines», avait-il répondu à une question sur ses rapports avec les militaires. A l'époque, le bras de fer avec le général de corps d'armée Mohamed Lamari était à son apogée. Bouteflika, qui a nommé un général à la retraite au poste de ministre délégué au ministère de la Défense, n'a plus eu les mêmes rapports avec les hauts gradés. Son absence aux obsèques des généraux Smaïn Lamari, Fodil Cherif et Larbi Belkheir a été fortement remarquée. A un diplomate américain, Bouteflika a confié, tel que rapporté par un câble de WikiLeaks, que «les militaires obéissent désormais aux civils». Un discours qui sert sa cause autant que celle des militaires puisque cela fera de l'Algérie un pays «normal» où l'armée assume ses missions constitutionnelles. Le chef de l'Etat a, à plusieurs reprises, loué l'action de l'armée dans la lutte contre le terrorisme et le maintien de l'unité nationale. Pas plus. La méfiance est bel et bien installée. Surtout que Bouteflika, qui a été forcé de se séparer des services de son ami Yazid Zerhouni du ministère de l'Intérieur, a tenté de reconfigurer le schéma sécuritaire. Un projet qui, de toute évidence, n'avait pas pour objectif stratégique de consolider le pouvoir des civils en Algérie ni l'emprise populaire sur le fonctionnement de l'Etat. Bouteflika, qui considérait la Tunisie de Ben Ali comme «un modèle de démocratie», avait une volonté claire de s'imposer à la communauté nationale comme un Président aux prérogatives larges, sans possibilité pour la société d'avoir des contre-pouvoirs. Les militaires l'ont laissé faire, dans une conjoncture mondiale dominée par le discours sécuritaire qui a relégué les revendications de liberté au second plan, après les attentats du 11 septembre. Le maintien de l'état d'urgence, au mépris de la Constitution, en est la preuve. Autre preuve : la Constitution de 1996, révisée sous le règne de Liamine Zeroual, un militaire, et qui limitait à deux les mandats présidentiels, a été amendée par Bouteflika sans consultation populaire. En 2008, tout le monde semblait y trouver son compte. L'entourage de Bouteflika était convaincu que la cause était entendue et qu'aucune voix ne s'élèverait des casernes. Et le vent tourne. Les révolutions tunisienne et égyptienne, le rôle des armées des deux pays, l'aspiration forte au changement des populations arabes, tout cela va bousculer l'ordre, à Alger ou ailleurs. N'étant pas dans la période «la transition en bon ordre» évoquée à Washington ?