Un ministre de l'Intérieur qui s'explique sur un cas de torture dans un commissariat de police, cela est possible au Koweït. Du jamais vu ailleurs dans le monde arabe. Depuis presque un mois, l'Emirat est secoué par une affaire : la mort de Mohamed Ghazi Al Mattiri dans un centre de police à Al Ahmadi. De notre envoyé à Koweït City L'homme a été torturé jusqu'à la mort. Devant le scandale soulevé par la presse, la justice a ouvert une enquête. Une vingtaine de policiers, entre agents et officiers, ont été inculpés. Le procureur a décidé de convoquer Al Ahmadi Adel Al Hamdan, directeur des renseignements généraux, pour l'interroger sur la mort d'Al Mattiri. Un autre homme, accusé d'avoir caché des boissons alcoolisées chez lui, a été interpellé par les policiers qui l'ont maltraité à Al Jahraa. L'homme a été reçu par le ministre de l'Intérieur, Djabber Al Khaled, dans son bureau en l'assurant de l'ouverture d'une enquête. Le Parlement a mis en place une commission d'investigation sur l'affaire Al Mattiri dirigée par Ali Al Oumeir. Dans leurs conclusions, les députés ont exigé la présence d'avocats avant l'ouverture des interrogatoires dans les centres de police et l'examen des dossiers médicaux des gardés à vue. Ils ont également demandé à ce que les chambres d'interrogatoire soient directement reliées par des caméras à l'administration en charge de la surveillance et du contrôle. Nouvelles pages Les parlementaires ont exigé à ce que le rapport de la commission d'enquête soit versé au dossier judiciaire pour «charger» davantage les tortionnaires. «La responsabilité politique du ministre de l'Intérieur dans l'affaire Al Mattiri est entièrement engagée. Il est comptable de toutes les erreurs commises dans les services mis sous son autorité», a estimé Ali Al Oumeir. «Nous allons obliger le ministère de l'Intérieur à changer ses méthodes et à ouvrir une nouvelle page», a relevé, pour sa part, le député Khaled Al Odwa. Les parlementaires Walid Tabtabaï, Chouaïb Al Mouyazri et Salem Al Namlan ont ouvertement accusé le ministre de l'Intérieur d'exercer un abus de pouvoir et d'avoir tenté d'induire en erreur l'opinion publique sur l'affaire Al Mattiri. «Djabber Al Khaled est responsable du crime. Torturer jusqu'à la mort est un crime qui ne sera pas passé sous silence», ont-ils appuyé. Assumant sa responsabilité de ce qui ressemble à une bavure policière, le ministre de l'Intérieur a présenté sa démission. Sa requête est encore à l'étude. Le député Mohamed Al Mattir a demandé au ministre de se débarrasser des «symboles de la corruption». Ceux qui, selon lui, usent et abusent des appareils sécuritaires pour leurs intérêts. «Vous avez promis de nettoyer le ministère de l'Intérieur et de joindre l'acte à la parole. Alors faites-le !», a-t-il écrit à l'adresse de Djabber Al Khaled. Prévu ce mois de février, l'audition du ministre de l'Intérieur a été reportée à mars. Ce qui a provoqué la colère de l'opposition soupçonnant une manœuvre du gouvernement. Elle a reproché au président du Parlement, Jassem El Khorafi, de vouloir calmer le jeu. El Khorafi, qui a soutenu qu'une session spéciale était possible pour interroger publiquement le ministre de l'Intérieur, a accepté le rapport de la commission d'enquête sur l'affaire Al Mattiri et l'a inscrite au débat. Le Parlement est de plus en plus présent dans la vie politique koweïtienne. En décembre 2009, les députés ont obligé le Premier ministre, Nasser Al-Mohammed Al Sabbah, à se soumettre à un vote de confiance après des semaines de débat. Ce qui était déjà une immense avancée puisque Nasser Al Mohammed fait partie de la famille princière. Le Premier ministre est réellement responsable devant le Parlement. Il lui rend compte de tout. A trois reprises, le Parlement a été dissous depuis 2006 pour débloquer la situation politique dans le pays (la dernière fois remonte à mars 2009). Les pays voisins voient mal ce qu'ils appellent «la crise politique permanente» au Koweït alors que les Koweïtiens mettent en avant l'idée que le pays n'a pas changé de Constitution depuis quarante-neuf ans. Le Koweït s'est doté d'une Constitution en 1962, une année après son indépendance du colonialisme britannique. La dynastie d'Al Sabah a, dès le début, permis une certaine ouverture politique. L'opposition nationaliste et islamiste a toujours gardé une liberté de ton relayée par une presse critique. Pas touche à la Constitution En dents de scie, la vie parlementaire a résisté tant bien que mal aux assauts du pouvoir et des tenants du statu quo. Dans les années 1980 et 1990, le Parlement a été gelé. Il a fallu l'intervention militaire irakienne en 1990 pour qu'un nouveau consensus naisse entre la famille régnante et les mouvements d'opposition matérialisée par le Pacte de Djeddah d'octobre1990. La société civile a pris de l'ampleur depuis. Action freinée quelque peu par le discours, imposé par les Etats-Unis, sur la lutte contre le terrorisme. Un discours qui a ouvert la voie à l'option sécuritaire au détriment des libertés. «Koulou ila El Doustour» (tout sauf la Constitution) est un groupe constitué récemment par des hommes politiques pour ne pas toucher à ce qui est perçu au Koweït comme un bien précieux. Au pouvoir depuis 2006, le cheikh Sabah Al Ahmad Al Jaber Al Sabah a laissé faire et a même encouragé les députés à occuper davantage la scène politique dans le pays. Une année auparavant, le Parlement a voté une loi historique donnant le droit de vote aux femmes. Le Mouvement constitutionnel islamique, qui partage les idées des Frères musulmans égyptiens, n'a trouvé aucun inconvénient à ce changement. Et depuis mai 2009, quatre femmes siègent au Parlement koweïtien. C'est le début d'une nouvelle époque dans un pays qui détient 10% des réserves pétrolières mondiales.