A l'exception de l'annonce de la levée prochaine de l'état d'urgence et la dépénalisation de l'acte de gestion, le dernier Conseil des ministres, présidé par le chef de l'Etat le 3 février, n'a pas été porteur de suffisamment de décisions susceptibles de répondre dans l'immédiat aux préoccupations socioéconomiques de la population. Que ce soit en matière d'emploi, de logement ou de pouvoir d'achat, il s'agissait davantage de directives destinées à encourager, élargir ou rendre plus effectives des mesures déjà mises en place et qui ont montré, pour certaines, leur limite. Mais pour les observateurs de la scène économique et politique actuelle, cela n'a rien d'étonnant. «La manière et surtout le timing choisis pour prendre de telles décisions démontrent de manière indubitable un dosage de précipitation avec une connotation beaucoup plus politique qu'économique, compte tenu de l'actualité régionale dans le monde arabe, en matière de revendications, sociales, économiques, etc., », estime Abdelmalek Serai, consultant international et expert en économie. Ce sont, selon lui, «des décisions correctives et complémentaires des différentes mesures déjà existantes et des techniques utilisées, qui ont montré leurs limites, par rapport aux besoins multiples et complexes des jeunes algériens. De ce point de vue, elles sont considérées comme «positives mais insuffisantes compte tenu surtout du cumul et de la complication des nombreuses doléances de la jeunesse algérienne», ajoute-t-il. La multiplication des soulèvements populaires dans les pays arabes voisins, les émeutes du début du mois de janvier, les mouvements de protestation engagés ces derniers jours par différentes corporations et la peur de revivre les scénarios tunisien et égyptien font que «le gouvernement n'a pas eu suffisamment de temps pour étudier et aller en profondeur de ces questions d'actualité afin de mieux les traiter et les intégrer dans une stratégie de politique économique solide et inébranlable à long terme», explique M. Serai. Une logique économique douteuse A défaut de nouvelles mesures, le gouvernement a donc été sommé de mener à bien celles qui existent déjà bien que leur efficacité économique ne soit pas évidente. C'est notamment le cas pour l'emploi avec l'instruction donnée par le président d'améliorer entre autres les dispositifs du micro-crédit et des emplois d'attente. Pourtant, le gouvernement, lui-même, reconnaît que les créations d'emploi qui ont eu lieu ces dernières années sont très peu productives. Le secrétaire d'Etat chargé de la statistique, Ali Boukrami, faisait remarquer la semaine dernière, que «même avec l'augmentation du taux d'emploi de 3% ces dernières années, l'Algérie n'a pas réussi à transformer ce taux d'emploi en croissance équivalente». Ce qui signifie, a-t-il ajouté, que «les emplois qui ont été créés n'ont pas une grande productivité». Et, à défaut d'encourager des investissements créateurs d'emplois pour régler la question du chômage, le gouvernement aurait récemment demandé aux entreprises de recruter un maximum de chômeurs quels que soient leurs besoins de recrutement. «Nous avons déjà, à mainte reprises, dénoncé la politique de colmatage qui a prévalu par le passé dans certains secteurs. Aujourd'hui les mêmes erreurs se répètent et n'obéissent pas à la logique économique et financière et contredisent tous les percepts de management moderne», nous dit M. Serai. Certes, le chef de l'Etat a demandé au gouvernement d' «élargir les mesures incitatives au recrutement des jeunes demandeurs d'emploi par les promoteurs et les investisseurs» et pour se faire il a insisté pour faciliter l'accès des PME aux crédits bancaires. Une revendication récurrente chez les chefs d'entreprises, mais qui peine à être réglée, d'où la décision de la dépénalisation de l'acte de gestion. Pour le président de la confédération algérienne du patronat, Boualem M'rakech, «on est toujours au stade des intentions et il faut maintenant passer à l'action». Or, l'un des obstacles que nous rencontrons c'est que les décideurs «prennent trop de temps pour répondre aux problèmes qui surgissent pour les entreprises et pour trouver les solutions appropriées du moment». Pour le président de la CAP « il y a des mesures concrètes à prendre pour avoir un système financier et bancaire qui réponde aux standards internationaux, pour régler la question de la mise à niveau et celle de la bureaucratie». Toutefois, ajoute-t-il «l'experience nous a montré qu'il y a toujours un décalage entre ce qui est dit et ce qui est fait». Du régionalisme réducteur Pour autant, et sur un plan de politique économique, l'expert estime que les décisions annoncées sont «une avancée positive dans la perspective d'une démarche plus démocratique dans la distribution des moyens de paiement du pays au profit des citoyens sans exclusive». Toutefois, elles ne peuvent être appliquées «rapidement que si elles sont accompagnées avec détermination par une lutte sans faille contre la corruption et un allègement systématique de tous les circuits bureaucratiques encore en place ou même le régionalisme réducteur qui continue de sévir à tous les niveaux de gestion et de décision». Partant de là, M. Serai considère que «les scénarios à la tunisienne ou à l'égyptienne ne concernent pas l'Algérie à moins que des manipulations internes pour des intérêts limités à certains lobbies machiavéliques fassent la sale besogne contre leur propre pays…» Cet avis, exprimé précédemment par des experts étrangers, s'explique selon notre interlocuteur par le fait que «la situation socio-économique de l'Algérie est de loin bien meilleure que celle des pays arabes de la région. Néanmoins, l'Algérie doit exiger de ses dirigeants politiques plus de transparence, une meilleure gouvernance et une démocratie légaliste appuyée d'un programme bien pensé dans une vision de moyen et long termes, ce qui n'est pas le cas pour l'instant». Dans ce cadre, «le nouveau programme quinquennal doit être revisité pour une bien meilleure orientation vers le développement humain plus accéléré et une réelle prise en charge des doléances immédiates et futures des citoyens».