Mardi prochain, Saïd Barkat est annoncé à Témouchent pour un symbolique coup de sécateur à la faveur d'une campagne des vendanges entamée depuis une semaine déjà. Ce sera la première fois qu'un ministre de l'Agriculture s'implique ainsi dans la viticulture. Pour d'aucuns, le cérémonial semble fort mal à propos dans la mesure où la récolte va être très en deçà des espérances que laissait croire une pourtant bonne année pluviométrique. Ainsi, les optimistes projections de 350 000 à 400 000 q de production nationale sont ramenées à moins de 250 000 q. Il reste que ce ne sont pas les effets des accidents physiologiques, survenus à la suite des dévastateurs vents de fin mai-début juin et des méchants coups de sirocco d'août, qui font l'objet du déplacement du ministre. Le responsable du secteur est appelé à se pencher sur des solutions au profit d'une spéculation en direction de laquelle les mesures de soutien arrêtées dans le cadre du FNDRA n'ont pas produit tout l'effet escompté. En effet, s'il y a eu effectivement replantation et rajeunissement du vignoble grâce à l'incitation au moyen d'alléchants prix au quintal offerts aux agriculteurs par l'ONCV et par les différents types de subventions accordées par l'Etat, la vini-viticulture est aujourd'hui en butte à deux obstacles majeurs qui risquent de lui porter un coup fatal. L'un est situé en amont de la production et le second à son aval, mais tous les deux sont intimement liés à l'exportation qui fait la raison d'être de la politique de relance de la viticulture. Orientation du secteur A cet égard, si la production du raisin de cuve est peu à peu revenue, les variétés de raisins plantées ne correspondent pas aux cépages recherchés par les transformateurs. Il s'agit d'une part des traditionnelles variétés qui structurent le corps des vins algériens et leur donnent la typicité pour laquelle ils sont appréciés. Car, de ce point de vue, l'encépagement a été déstructuré du fait que le cadastre viticole n'a pas été respecté en ce sens que les cépages n'ont pas été replantés en leurs terroirs respectifs, ce qui s'est traduit par un déséquilibre entre les variétés. A titre indicatif, à Témouchent, premier centre viticole du pays avec 50% de la production nationale, sur les 9100 ha en production, 85% sont occupés par le Cinsault et le Merseguerra et 15% pour les cépages nobles. Il y a en conséquence nécessité d'orienter les viticulteurs vers un encépagement de qualité dans la mesure où la plupart ont opté pour les cépages dits double-fin, c'est-à-dire pouvant être vinifiés, mais ne donnant pas de bons vins ou vendus en frais comme raisin de table. Par ailleurs, et au regard de la demande du marché extérieur, il devient nécessaire de s'ouvrir aux nouveaux cépages qui se sont imposés dans le monde supplantant une grande partie des anciens. Mécanisme incitatif La question qui se pose est de mettre en œuvre un mécanisme suffisamment incitatif pour sortir la viticulture de l'impasse sur ce plan. Quant au second obstacle, il a trait, d'une part, aux capacités de l'appareil de transformation très largement diminuées du fait de sa vétusté, le rendant en partie inutilisable, et, d'autre part, du fait de l'obsolescence de la partie encore maintenue en activité. Cet archaïque appareil appartient en théorie aux viticulteurs, mais en réalité il est détenu par une minorité d'entre eux. Cette dernière a profité d'un moment de désarroi qui avait saisi la profession du fait de la situation sécuritaire et de l'interdit islamiste sur la filière viticole et a acquis des caves coopératives offertes à la vente à un prix symbolique. La grande masse, elle, est demeurée dans l'expectative. Aussi, en l'état actuel des choses, et pour différentes raisons, les détenteurs des caves coopératives ne sont pas prêts à investir dans la mise à niveau de leur appareil de transformation. Cela constituait jusqu'à aujourd'hui une sérieuse entrave pour l'élaboration des vins à partir des 300 000 q produits annuellement ces dernières années. Qu'en sera-t-il alors que la production est appelée à être multipliée par dix dans les prochaines années ? Cela étant, et si dans l'urgence le ministre est appelé à se pencher sur les deux goulots d'étranglement suscités, selon d'aucuns, il est au moins trois autres qui devraient attirer son attention. Ainsi, l'approche de la réalité des vendanges devra permettre au ministre de s'apercevoir que celle-ci s'effectue selon un process qui défie les normes actuellement en vigueur dans les pays viticoles. En effet, les grappes de raisins sont indistinctement coupées, c'est-à-dire sans tenir compte du fait si elles sont bonnes pour la vinification ou pas. Ensuite, elles sont entassées en vrac dans les bennes des tracteurs pour être transportées alors que la règle impose actuellement qu'elles le soient en barquettes avec tous les soins possibles. Aussi, la question est de savoir comment ramener la cueillette à un niveau technologique qui sorte la viticulture algérienne d'une tradition héritée, une tradition qui pouvait se justifier lorsque les vins algériens à l'export sur l'ancienne métropole étaient des vins médecins, c'est-à-dire exportés en vrac pour couper les vins français et leur ajouter couleur et teneur alcoolique. Aujourd'hui, pour se placer sur un marché mondial fermé, le vin algérien doit couper avec « la viticulture de papa », selon Omar Bessaoud, un expert algérien installé en France. Un statut La seconde mutation qui doit s'opérer est que les viticulteurs deviennent des vignerons, c'est-à-dire qu'ils dépassent le statut de producteurs de raisin pour celui également de transformateurs de leur raisin. En conséquence, cela signifie que les viticulteurs algériens accèdent enfin à un statut que leur refusaient les gros colons. Cependant, si beaucoup d'agriculteurs parlent de former des groupements d'intérêts communs (GIC) et de s'assembler pour produire du vin, un seul est passé à l'action. Ce ne pouvait être que lui parce que, contrairement aux autres, il s'est toujours inscrit en faux contre une agriculture rentière. Ainsi, il s'est refusé à bénéficier de quelque soutien financier étatique bien qu'il en ait le droit, préférant investir sur fonds propres. De la sorte, cette année, l'Algérie verra naître le premier vigneron algérien à El Amria. Enfin, et accessoirement aux deux précédents écueils, il en est un sur lequel les pouvoirs publics devraient également porter leur intérêt suite à la fin du monopole accordé à l'ONCV et l'apparition de nouveaux intervenants (CGO, VDO, Vin Pali) alors que d'autres sont en gestation. En effet, pour les spécialistes, il devient urgent de réhabiliter la législation viticole héritée de l'ancienne puissance occupante, une législation dont une partie avait été abrogée du fait du règne de l'économie administrée mais qui retrouve toute sa pertinence avec le règne du libéralisme. Ce sera le moyen qui permettra entre autres de protéger la viticulture algérienne de dommageables dérives.