Les peuples arabes qui ont décidé de prendre leur destin en main en tentant d'imposer par la voie de la contestation de la rue – violemment réprimée partout – des changements et qui voyaient dans l'expérience algérienne entamée au début des années 1990 une source d'inspiration et un motif de fierté, n'ont rien compris aux hésitations et à la portée encore limitée que renvoie le mouvement de contestation en Algérie. Un mouvement qui semble, pour des raisons objectives, avoir du mal à fédérer massivement autour des mots d'ordre de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNDC). Le degré zéro de la communication et de l'analyse politique de la marche d'hier, qui intervient une semaine après la première marche du 12 février dernier, voudrait, bien évidemment, que l'on ne retienne que le nombre des manifestants, visiblement de loin moins important que celui drainé par la précédente marche, tout aussi interdite et tout aussi étroitement encadrée par les forces antiémeute que celle d'hier. Les médias officiels avancent un chiffre oscillant entre 200 et 500 manifestants. Cela ne fait pas une révolution. Comparé aux soulèvements dans certains pays arabes qui arrivent à mobiliser par milliers, voire par millions, comme ce fut le cas le cas en Egypte, dans des conditions de répression policière et d'affrontements sanglants entre manifestants et policiers, le mouvement de contestation pacifique auquel a appelé la CNCD apparaît en net décalage. Faudra-t-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain et conclure, comme vont sans doute le faire les forces de l'immobilisme et les partisans du statu quo apparentés au pouvoir, que l'Algérie a commencé et achevé sa révolution démocratique bien avant les autres et que nous n'avons pas de leçon à recevoir en la matière de qui que ce soit ? L'erreur à ne pas commettre, pour le pouvoir, c'est de croire ou de faire accroire que les réformes démocratiques portées par la CNCD – qui ne sont pas exclusives aux forces représentées au sein de cette alliance mais endossées par d'autres formations politiques, y compris celles qui se réclament de l'opposition tout en évoluant à la périphérie du pouvoir – peuvent être renvoyées aux calendes grecques après la faible mobilisation de la marche d'hier. Et qu'en concédant quelques dinars de baisse sur les prix de l'huile et du sucre dans le prolongement des émeutes populaires du mois passé, le pouvoir a scellé durablement sa réconciliation avec les Algériens. Le terreau de la contestation et du mécontentement social est là et bien réel. En pleine ébullition, le front social pourrait prendre le relais, imposer les changements que la classe politique ne parvient pas à obtenir et casser ce carcan de ni guerre ni paix dans lequel le pays est enfermé. Et la vérité, après la marche d'hier c'est que, si la CNCD n'a pas réussi son examen de rattrapage ou d'accès à un palier supérieur de la légitimation populaire de ses revendications, le pouvoir non plus n'a pas convaincu l'opinion nationale et internationale quant à sa volonté réelle de changement. L'interdiction de la marche d'hier, l'impressionnant dispositif policier mobilisé pour la circonstance, la gestion technico-politique de l'événement, avant la marche, pour influer sur le niveau de mobilisation populaire, tout cela fait que le pouvoir ne peut pas sortir grandi de cette épreuve aux yeux de ceux qui, à l'intérieur et à l'extérieur du pays, appellent à des réformes profondes en Algérie.